Moins de trois mois après la première apparition en course et la première victoire en Grand Prix du fameux moteur V8 Ford Cosworth DFV en juin 1967, Ford et Cosworth refont les premières pages des magazines spécialisés avec une rumeur à propos de leur propre monoplace de Formule 1.
Si le nom de Ford était mentionné, il s’agissait en réalité d’un projet 100% Cosworth, dirigé par Keith Duckworth et Mike Costin. À ce moment, Cosworth venait de connaître le succès en F1 avec son nouveau DFV et remplissait ses coffres avec les ventes de son quatre cylindres BDA.
Pour le moment, il ne s’agit que d’un projet ; une sorte d’exercice de design même si Duckworth rêve secrètement de voir le grand Jim Clark piloter sa création. Duckworth sait que l’ingénieur britannique Robin Herd n’est pas très heureux chez McLaren, et une rencontre a lieu entre les deux hommes dans le paddock du circuit de Monza au Grand Prix d’Italie.
Herd accepte la proposition et le salaire annuel mirobolant de 2750£ (soit 6865$ canadiens à l'époque). Les ingénieurs décident que la future voiture sera munie d’une transmission à quatre roues motrices (ou à rouage intégral) afin de procurer une adhérence maximale, de pneus et de suspensions identiques à l’avant et à l’arrière, et que la répartition des masses sera de 50-50 avant-arrière.
Herd dessine un châssis monocoque qui emploie des panneaux de Mallite en nid d’abeille ; un type de matériau composite stratifié constitué d'une feuille centrale en bois de balsa à grain fin, revêtue de feuilles de duralumin. Les couples de rigidités sont en magnésium et la carrosserie est faite de panneaux d’aluminium.
Le moteur Cosworth DFV est boulonné en sens inverse qu’habituellement. Ainsi, le volant-moteur et l’embrayage sont situés dans le dos du pilote. L’arbre primaire actionne une transmission à deux arbres qui motorise les roues arrière et duquel émerge un autre arbre qui longe le côté droit de la voiture. Le différentiel central est placé juste à droite du pilote et actionne un autre arbre qui alimente le différentiel avant. Les quatre freins à disques sont internes, refroidis par des prises d’air NACA et reliés aux roues par des arbres insérés dans des tubes de protection. Deux longs réservoirs d’essence se situent de part et d’autre de la voiture.
La conception et la fabrication de la voiture se déroulent bien jusqu’à ce funeste jour du 7 avril 1968 quand Clark se tue lors d’une course de Formule 2 sur le Hockenheimring en Allemagne. « J’ai alors senti que Keith [Duckworth] a commencé à perdre de l’intérêt dans le projet » raconte Robin Herd dans le livre “Cosworth, The Search For Power”.
Une avancée technologique ruine les efforts de Cosworth
Le spécialiste John Thompson poursuit néanmoins la construction du bolide et au printemps 1969, il roule pour la première fois aux mains de Mike Costin. Le plan est de l’inscrire au Grand Prix de Grande-Bretagne et de le confier à Trevor Taylor.
Les essais sont perturbés par des problèmes concernant le différentiel à glissement limité central. Les pilotes - Costin, Taylor et Jackie Stewart - soulignent le même problème : dans les lignes droites, la voiture se met à tirer dans une direction, de plus en plus, ce qui nécessite de contrebraquer, et c’est alors qu’elle se met à tirer dans l’autre direction ! Les ingénieurs modifient les certaines composantes du différentiel, ce qui améliore, un peu, sa tenue de route.
Duckworth se pose de sérieuses questions à propos de cette voiture qu’il juge être réellement à court de développement pour lui faire disputer un Grand Prix.
Un autre facteur majeur intervient au même moment. Il s’agit de l’apparition des ailerons en F1 ainsi que l’arrivée de pneus à gomme tendre. Avec ces gigantesques ailerons arrière, les voitures de F1 conventionnelles ne patinent presque plus en sortant des virages. Le concept d’une voiture à rouage intégral est soudainement devenu inutile. Les responsables de Cosworth se rendent alors à l’évidence : leur voiture est totalement dépassée.
Un peu plus tard, cette unique voiture est confiée au Donington Grand Prix Collection et y a figuré jusqu’à la fermeture du musée et du circuit. Toutefois, Tom Wheatcroft, propriétaire du circuit de Donington, possédait un châssis de secours, et en 1983, la compagnie Crosthwaite and Gardiner a fabriqué une seconde voiture, identique à la première, à l’aide de ce châssis et des pièces de rechange. Cette voiture serait actuellement la propriété d’un collectionneur australien.