Durant la saison 1978, la première année complète de Gilles Villeneuve en Formule 1, la Ferrari 312 T3, pilotée par Villeneuve et Carlos Reutemann, récolte cinq victoires en 16 Grands Prix. Cependant, l’arrivée en scène de la fabuleuse Lotus 79, première monoplace à exploiter à fond l’effet de sol avec ses jupes coulissantes, révolutionne la F1. Pour gagner, il faut désormais copier cette Lotus 79 et doter sa monoplace de large pontons qui enferment des tunnels venturi qui aspirent la voiture au sol et la rendent très rapide dans les virages.
C’est ce que font Gérard Ducarouge chez Ligier, Patrick Head chez Williams, Maurice Philippe chez Tyrrell et Gordon Murray chez Brabham pour ne sommer que ceux-là, mais pas Mauro Forghieri chez Ferrari. Pourquoi ? Parce qu’il est coincé avec la largeur du moteur Ferrari atmosphérique 12 cylindres ouvert à 180 degrés. Les autres écuries emploient des moteurs étroits en V tandis que Ferrari est prise avec ce moteur puissant, certes, mais très large…
Forghieri, qui assiste à tous les Grands Prix en 1978, va aussi travailler de très longues heures pour trouver une solution aérodynamique efficace sur sa prochaine monoplace, la 312 T4. Il peaufine donc la surface de la carrosserie afin que les filets d’air génèrent une certaine déportance aérodynamique. Il élargit aussi les pontons et y loge des tunnels semi-venturi, car partiellement obstrués par le moteur.
Il dégage l’avant de la voiture en adoptant un nez très large, ce qui permet à une très grande quantité d’air de s’engouffrer sous la voiture et d’alimenter les tunnels. Il dote la T4 d’un aileron avant monoplan de pleine largeur et affine les éléments de suspension afin d’en réduire la traînée. Forghieri et ses collègues ingénieurs passent de longues nuits dans la soufflerie de Pininfarina, car la faire fonctionner consomme tellement d’électricité qu’il est impossible de la faire tourner durant la journée sans priver de courant la plupart des habitants de la ville !
Les radiateurs d’eau et d’huile sont insérés dans les pontons et une petite quantité d’air est dirigée dans les écopes des trompettes d’admission du moteur. La boîte de vitesses est toujours la transversale (T) de petit format à cinq rapports. La suspension arrière est elle aussi affinée et les freins arrière sont accolés à la transmission afin de réduire la masse non-suspendue. Deux tubulures d’échappement émergent au ras du sol, tandis que les deux autres sont situées au-dessus de la transmission. Le cockpit est très avancé et les pieds des pilotes se trouvent presque devant les pneus avant (ce qui était permis !). Les pneus sont des Michelin lisses.
Pas élégante, mais efficace et fiable !
Lors de son dévoilement le 15 janvier 1979, Enzo Ferrari juge la T4 comme étant la Ferrari F1 la plus laide jamais produite. « En espérant qu’elle soit plus performante que belle » soupire-t-il. Villeneuve et Scheckter disputent les deux premiers Grands Prix de la saison aux commandes de 312 T3, car les T4 ne sont pas terminées et les essais se poursuivent.
Les T4 arrivent enfin en action lors du Grand Prix d’Afrique du Sud. Villeneuve récolte la victoire devant Scheckter. Puis, Villeneuve gagne à nouveau dans les rues de Long Beach. Jody remporte ensuite deux victoires consécutives, en Belgique et à Monaco. Puis, la T4 est dominée par la nouvelle et impressionnante Williams FW07-Ford à effet de sol qui amasse cinq victoires lors des sept dernières épreuves de la saison. Les deux autres triomphes reviennent à Scheckter, premier à Monza en Italie, et à Villeneuve qui s’impose à Watkins Glen en fin l’année.
Cette T4 jugée si laide permet quand même à Scheckter d’être couronné Champion du monde et à Villeneuve de terminer deuxième au classement final. La Scuderia Ferrari récolte aussi le titre d’écurie championne du monde. Ferrari a su pleinement profiter de la fiabilité de ses T4, de l’arrivée tardive de la Williams FW07, de la soudaine chute d’efficacité des Ligier JS11 pour récolter ces titres mondiaux.