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Technique : Retour sur la spectaculaire et curieuse Tyrrell P34 à six roues

Technique : Retour sur la spectaculaire et curieuse Tyrrell P34 à six roues

Samedi 14 décembre 2024 par René Fagnan
Crédit photo: Galeron

Crédit photo: Galeron

Si les monoplaces de Formule 1 d’aujourd’hui se ressemblent toutes visuellement, il fut un temps où elles étaient grandement différentes les unes des autres. Les équipes rivalisaient d’imagination pour trouver un avantage quelconque afin de s’imposer. C’est le cas de la Tyrrell Project 34 à six roues. Cette voiture des années '70 possédait quatre roues à l’avant et deux à l’arrière. Elle a tellement frappé l’imaginaire des amateurs de courses automobiles que son modèle réduit à assembler a longtemps été le meilleur vendeur de la firme japonaise Tamiya !

L’histoire de sa conception remonte à 1975 quand l’écurie de Ken Tyrrell doit remplacer son modèle 007 qui accuse son âge. Le concepteur en chef de l’écurie britannique, Derek Gardner, est coincé à utiliser un moteur V8 Ford Cosworth DFV qui affiche un déficit de puissance de 50 chevaux face aux V12 Ferrari et Alfa Romeo. Puisqu’il lui est impossible de faire grimper la puissance du Ford d’un coup de baguette magique, il doit trouver autre chose.

Cette solution ne sera pas mécanique, mais aérodynamique. Gardner sait qu’a puissance égale, une voiture qui offre moins de résistance à l’air ira plus vite qu’une autre qui en offre plus. Afin de réduire la surface frontale de sa nouvelle voiture, Gardner élimine les grosses roues avant et les remplace par des petites dissimulées derrière un bouclier.

L’objectif visé est de réduire la traînée et d’améliorer l’écoulement des flux d’air vers l’aileron arrière. De plus, une roue qui tourne rapidement a tendance à se soulever, car elle est soumises au phénomène de portance. En adoptant de petites roues, ce phénomène sera atténué. Gardner croit aussi que quatre roues au lieu de deux à l’avant amélioreront l’efficacité du freinage et l’adhérence dans les virages.

Après avoir réalisé quelques dessins techniques, Gardner doit faire approuver son projet P34 par Ken Tyrrell qui, s’il l’accepte, devra convaincre Goodyear de lui produire des mini pneus avant de 10 pouces.

Gardner conçoit ensuite le système de direction qui doit actionner les quatre roues avant. La colonne de direction standard actionne la crémaillère qui fait pivoter les roues placées à l’avant comme sur une voiture classique. Le porte-moyeu possède une tige de renvoi qui actionne un levier coudé (bell crank, un type de manivelle qui modifie le mouvement par un angle) qui, en retour, fait pivoter l’autre train de roues avant.

Chaque roue avant dispose de son propre étrier de freins et des disques de petit diamètre. L’ingénieur greffe ensuite une prise d’air dynamique au-dessus du V8 ainsi qu’un gros aileron arrière très creux.

Un projet top secret !

À l’exception de certains membres de l’écurie Tyrrell, personne n’est au courant de la fabrication de ce mystérieux bolide. Pas même les pilotes, les sous-traitants et les fournisseurs ! Le premier exemplaire - une voiture-laboratoire - est fabriqué en grand secret dans un bâtiment de l’usine de bois familiale Tyrrell et non pas dans le hangar de l’équipe à Ockham.

La voiture est dévoilée le 22 septembre 1975 à l’hôtel Heathrow. Plusieurs croient qu’il ne s’agit que d’un coup de publicité et que cette étrange P34 ne roulera jamais. Le premier essai est secrètement mené le 8 octobre de la même année sur le circuit de Silverstone.

La saison 1976 commence et les pilotes, Jody Scheckter et Patrick Depailler, se plaignent de ne pas voir les pneus avant, ce qui leur faire rater plusieurs points de corde dans les virages. Deux petites fenêtres sont alors découpées dans la carrosserie et sont refermées d’une feuille de Lexan translucide.

À 300 km/h, les petits pneus de 10 pouces avant tournent incroyablement vite, mais Goodyear a bien travaillé et ils n’ont pas tendance à surchauffer. Ce n’est pas le cas des freins qui, en dépit de l’installation de plusieurs boas de ventilation, atteignent des températures alarmantes.

Si la P34 remporte une victoire dès sa quatrième course, disputée le 13 juin 1976 en Suède avec Scheckter, les soucis techniques se multiplient. La voiture est trop lourde et la répartition des masses est incorrecte, son niveau d’adhérence varie énormément sur les circuits bosselés, les petites roues avant ont trop facilement tendance à bloquer lors des freinages, elle souffre d’un sous-virage épouvantable et les moteurs V8 Cosworth cassent trop aisément.

Maurice Philippe, un ancien ingénieur du Team Lotus, remplace Gardner et allonge l’empattement, modifie la carrosserie, déplace les radiateurs d’huile et élargit la voie avant. La P34 n’est pas aussi rapide que prévue sur les lignes droites, car si les pneus avant sont dissimulés, ce n’est pas le cas des gigantesques pneus arrière qui génèrent une traînée aérodynamique pas possible…

Pour 1977, Ken Tyrrell recrute Ronnie Peterson pour remplacer Scheckter, parti chez Walter Wolf Racing. Pour accommoder la grande taille de Peterson, Philippe doit modifier la monocoque, ce qui ajoute beaucoup de poids, et la P34 est désormais trop lourde de 86 kilos (190 livres). Peterson et Depailler ne grimpent que quatre fois sur le podium et abandonnent à 20 reprises.

Le coup de grâce de la P34 survient au début de l’été quand Goodyear annonce à Tyrrell qu’il ne fournira plus de pneus de 10 pouces à partir de la fin de la saison.

La P34 dispute son dernier Grand Prix au Japon en 1977. Depailler termine la course sur le podium en troisième place. Gilles Villeneuve, le nouveau pilote Ferrari, est victime d’une violente sortie de piste après s’être accroché avec la… P34 de Peterson. Si Villeneuve n’a pas été blessé, sa Ferrari en perdition a fauché la vie à deux personnes qui ne devaient pas se tenir à cet endroit jugé dangereux.

Crédit photo: Galeron