Hormis le doublé Ferrari, les estrades combles, les exploits des jeunes Franco Colapinto et Liam Lawson, tous deux dans les points malgré leur inexpérience, l’événement qui a le plus fait parler à l’issue du Grand Prix des États-Unis de Formule 1, présenté dimanche dernier sur le Circuit des Amériques à Austin (Texas) est sans nul doute le duel entre Lando Norris et Max Verstappen qui s’est soldé par un dépassement du Britannique sur le triple champion du monde. Un dépassement hors des limites de la piste, où Verstappen est lui-même allé, qui a permis à Norris de terminer 3ème, moins de 5 secondes devant la Red Bull. Peu après et alors que le damier était tout juste brandi, Norris écopa d’une pénalité de 5 secondes pour sa manœuvre, permettant à Verstappen d’être classé 3ème devant Norris, 4ème.
Selon plusieurs, l’injustice envers Lando Norris de la part des trois commissaires sportifs (un ex-pilote et deux "politiciens") est flagrante. Elle a soulevé un tollé de controverses à travers le monde de la F1 mais elle met surtout en lumière les pénalités appliquées parfois de manière non-cohérente en F1.
Doubler par l’extérieur se produit des milliers de fois par saison dans d’autres séries. En IndyCar par exemple, où dès l’instant où les deux pilotes sont allés au-delà des limites de la piste, aucune sanction n’est appliquée. Pareil en NASCAR où le code de déontologie autogéré par les pilotes en série Cup fait en sorte que l’organisme laisse les pilotes régler leurs problèmes en piste sans intervenir, illustrant ainsi la fameuse déclaration "Have At It Boys !". En F1, la théorie annoncée c’est le "laissons-les s’affronter" ("Let them race!"). Elle est soulignée publiquement, mais dans la réalité rien n’est simple.
Il faut dire que, pour reprendre le cas de l’IndyCar et de la NASCAR, les murs extérieurs qui bordent la plupart des pistes, ovales comme circuits urbains ou routiers, causent bien des dommages aux voitures à chaque contact, ruinant ainsi la course pour la victime et amenant parfois quelques règlements de compte que la F1 ne tolère pas.
En NASCAR Cup, les pilotes acceptent le fait que pousser au maximum pendant des centaines de virages peut occasionner des erreurs de pilotage et des incidents. Une fréquence "normale" de chocs contre les murs et de plus gros incidents demeurent inévitables et font partie de la course. On tolère aussi les touchettes dites "Bump and Run" qui permettent à une voiture nettement plus rapide de doubler sans causer la perte de la voiture dépassée, surtout en fin de course.
En F1, ce sont des monoplaces et certains contacts sont logiquement à proscrire. De plus, la présence d’échappatoires sur plusieurs pistes minimise les dommages en sorties de piste trop fréquentes. Les "bonzes" de la FIA ont aussi défini un critère de "possession" d’un virage en passage côte à côte, qui va au premier des deux pilotes à dépasser le point de corde. Cette possession lui donne alors le droit d’utiliser toute la largeur de la piste, forçant l’autre pilote à ralentir et lui céder le passage, ou devoir sortir hors-piste et s’attirer les foudres des officiels en chemise de la Fédération Internationale.
On peut qualifier cette règle d’horrible car elle donne la possibilité au pilote à l’intérieur de "tricher" en poussant volontairement son adversaire à aller hors-piste et devoir ensuite se replacer derrière sous peine de sanction, comme on l’a vu à Austin avec Norris. La "possession du virage" est une règle mal conçue.
Une autre manœuvre est aussi pratiquée : le pilote à l’intérieur accélère en voyant le pilote à l’extérieur le doubler, de façon à assurer son passage en premier au point de corde. Cette accélération du pilote intérieur augmente sa vitesse maintenant trop élevée qui le pousse vers l’extérieur et pousse ainsi l’autre pilote hors-piste et vers une pénalité possible de 5 secondes. Ce que Verstappen a fait à Austin. Et si le pilote à l’intérieur sort lui aussi de piste, il est passible de cette même amende de 5 secondes, mais dans ce cas-ci, la FIA n’a pas jugé que le pilote Red Bull, pourtant allé lui aussi les 4 roues hors-piste, était coupable. C’est là la controverse d’Austin.
Norris n’aurait évidemment pas été pénalisé s’il s’était replacé derrière Verstappen et avait attendu un autre virage pour tenter un nouveau dépassement. Aurait-il réussi ? Personne ne peut le dire. Chose certaine, en sanctionnant un seul des deux pilotes sortis des limites de la piste, la FIA a ouvert grand la porte à une nouvelle polémique. Ajoutons que Norris n’a pas été aidé par son équipe, alors que les dirigeants de McLaren derrière le muret de la ligne des puits lui ont signifié par radio que la sortie de piste de Verstappen était si flagrante qu’elle serait punie elle aussi et qu’il était inutile de demander à son pilote de rendre la position. C’est là une interprétation grave du règlement, à trois tours de la fin d’un Grand Prix.
Mauvais règlement, officiels pas vraiment cohérents avec des décisions passées, résultat injuste… Cet événement n’aura sans doute aucun effet sur la course au titre presque en poche pour Verstappen. Toto Wolff, le patron chez Mercedes, a pour sa part considéré les décisions des commissaires d’Austin comme douteuses, inconsistantes et biaisées après deux incidents contre Norris causés par Verstappen lors de la course (départ et 52ème tour) et restés impunis.
Aujourd’hui en F1 on retrouve parmi les commissaires sportifs d’anciens pilotes qui ont pour nom Derek Warwick, Emmanuele Pirro, John Nielsen, Martin Donnelly, Martin Brundle, John Watson et d’autres selon l’événement. Ils connaissent le sport mais la F1 reste la même, époque après époque : incapable de cohésion dans l’application de ses règles face à des événements en piste. Rappelons-nous de l’exclusion du championnat 1997 de Michael Schumacher parce qu’il avait tenté de sortir Jacques Villeneuve à Jérez lors du dernier Grand Prix. C’était une sanction extrême tandis que, de l’autre, Ayrton Senna a sorti Alain Prost, volontairement là aussi, à Suzuka en 1990, sans la moindre sanction.
Ne serait-il pas temps que la F1 applique vraiment sa philosophie de laisser les pilotes se battre sans retrait de points sur leur licence, sauf en cas d’incident vraiment sérieux, sans risque de pénalité quand deux adversaires commettent tous deux la même infraction ? Bref forcer les pilotes à adopter entre eux un code de conduite sans pleurer à la radio et sans attendre que les officiels décident, ou pas, selon l’événement et les personnes qui oeuvrent ce jour-là, d’une pénalité ?