Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Rétro 1992 : Andrea Moda, l’écurie la plus “trash” de l’Histoire de la Formule 1

Rétro 1992 : Andrea Moda, l’écurie la plus “trash” de l’Histoire de la Formule 1

Vendredi 6 septembre 2024 par René Fagnan
Crédit photo: Capture d'écran YouTube

Crédit photo: Capture d'écran YouTube

L’Histoire de la Formule 1, et du sport automobile en général, est truffée d’apparitions de personnages sulfureux, douteux, au passé nébuleux et possédant une richesse monétaire mystérieusement acquise.

Aujourd’hui, les écuries de F1 sont la propriété de grands groupes automobiles, de fonds d’investissements ou de consortiums de milliardaires. Mais il fut un temps où un individu relativement inconnu arrivait en scène, démarrait sa propre équipe et tentait de la faire survivre.

Ce fut le cas en 1992 quand un Italien dans la quarantaine au look “à la Elvis” a fait une offre à Enzo Coloni pour lui racheter sa monoplace de F1, son équipement, ses outils et ses quelques pièces de rechange pour s’engager lui-même en F1.

Ce personnage est Andrea Sassetti, fondateur d'Andrea Moda, un fabricant de chaussures et d'accessoires de mode "gothiques" en plus d’être le propriétaire d'une chaîne de discothèques en Italie. Pourtant, personne ne sait qui il est vraiment et comment il a fait fortune. Gains au poker ? Affaires douteuses ? Souliers à la mode hors de prix ?  

Sassetti vire quelques millions de dollars à Coloni et récupère les monoplaces C4B, recrute deux pilotes italiens, Alex Caffi et Enrico Bertaggia, et s’inscrit au Championnat du monde de 1992 sous le nom "Andrea Moda Formula". Sassetti ne connaît rien à la F1 et transfert même deux employés de son usine de chaussures, un mécanicien et un chauffeur de camion, à sa nouvelle écurie de F1.

Puisque la Coloni n’est pas un châssis Andrea Moda, la FIA lui interdit de rouler en Afrique du Sud en début de saison. L’Italien négocie avec le bureau d'études britannique Simtek et achète le projet destiné à BMW. Il obtient une voiture à moitié terminée et un châssis qui a servi aux crash-tests. Puisque l’Andrea Moda S192 n’est pas en état de rouler, l’écurie fait l’impasse sur le Brésil. Cela ne plaît pas à ses pilotes qui le font savoir. En représailles, Sassetti les mets à la porte !

Des pannes, des pannes et encore des pannes

Sassetti, toujours habillé de noir, engage ensuite Roberto Moreno et Perry McCarthy. Malgré son moteur Judd V10, la S921 est lente, fragile et imprévisible. Moreno parvient à se qualifier pour le Grand Prix de Monaco (aidé, semble-t-il, par un bidon d’essence Elf de très haute qualité), mais abandonne en course. Quelques jours plus tard, alors que Sassetti se trouve dans une de ses discothèques en Italie, un incendie criminel se déclare soudainement. Il fuit les flammes, mais se fait tirer dessus dès qu’il parvient à l’extérieur. Par miracle, il s’en sort.

Si Moreno est arrivé à courir à Monaco, son coéquipier endure les pires conditions. L’écurie de Sassetti n’a pas l’argent ni les ressources pour faire rouler deux voitures. Au volant de la voiture au châssis des crash-tests, McCarthy parvient difficilement à boucler un tour de circuit par week-end. En Espagne, sa voiture ne parcourt que quinze mètres avant de tomber en panne... Et dire que le pauvre Britannique ne reçoit pas de salaire et doit assumer toutes ses dépenses pour se rendre aux différents Grands Prix !

Lors du Grand Prix du Canada, les caisses qui transportent les moteurs Judd d’Andrea Moda n’arrivent pas. Factures impayées ? L’écurie Brabham prête un moteur à Moreno qui ne se préqualifie pas. Pour le Grand Prix de France, Sassetti affirme que son camion n’a pu se rendre à Magny-Cours à cause des autoroutes bloquées par des grévistes. En fait, Sassetti ne veut plus investir un sou dans cette affaire et tente de limiter les dépenses.

La FIA le somme de ne plus rater de Grands Prix et les trois courses suivantes n’apportent que des non-qualifications. Le directeur sportif de l’écurie, le Français Frédéric Dhainaut, est un homme expérimenté. Il dit à Sassetti que son écurie est "trash" avec des mécanos qui sont souvent sales et toujours habillés de noir. Ce à quoi Sassetti répond : « Non, non ! C’est très bien comme ça. Je veux qu’ils aient l’air louches et peu fréquentables ». Tout cela plaît-il à Bernie Ecclestone ? Pas du tout !

Le Grand Prix de Belgique est le point d’orgue de la saison d’Andrea Moda. Tandis que les pilotes roulent à près de 10 secondes des temps nécessaires pour se pré-qualifier, un huissier de justice vient saisir des pièces des voitures dans le garage. Puis, McCarthy apprend par ses propres mécanos que sa voiture est munie d’une colonne de direction qui a déjà cassé sur la monoplace de Moreno !

En après-midi, les mécanos de l’écurie, non payés depuis un bout de temps et qui en ont assez d’attendre, se bagarrent avec Sassetti pour se faire respecter. Et en soirée, la police vient arrêter Sassetti ainsi que le nouveau directeur sportif de l'écurie, Sergio Zago. Ils sont tous deux inculpés de fraude fiscale, de faux et usage de faux. Ils sont relâchés le samedi matin et c’est à ce moment que John Judd arrive dans le paddock pour récupérer l’un des deux V10 qu’il prépare pour Andrea Moda. La cause ? Des factures impayées bien sûr. Quant à McCarthy, il quitte la Belgique et jure de ne plus conduire cette poubelle dangereuse.

Une semaine plus tard, la FIA décide d'exclure immédiatement et définitivement Andrea Moda Formula pour avoir nui à sa réputation. Mais lors du Grand Prix d’Italie, Sassetti fait illégalement et discrètement entrer ses camions dans le paddock de Monza et va discuter avec les organisateurs afin qu’ils permettent à Moreno de rouler. C’est mal connaître Ecclestone qui arrive au pas de course et prend les affaires en main. Il fait expulser les camions du paddock manu militari et fait fermement comprendre à Sassetti de disparaître à tout jamais du monde de la F1. Ce qui fut fait !

L'entreprise de chaussures d'Andrea Sassetti fit faillite en 2005. Dix ans plus tard, il fut condamné par la justice italienne pour une autre affaire de faillite frauduleuse.