On le sait fort bien, Gilles Villeneuve ne baissait jamais les bras. Il n’abdiquait aucunement, même si cela lui a parfois joué de vilains tours.
En 1979, il pilote une Ferrari 312 T4 aux côtés de Jody Scheckter. Ce dernier, expérimenté, laisse sagement Villeneuve faire le spectacle tandis que lui s’applique à accumuler des points et à viser le titre mondial.
En août, Villeneuve vient de grimper sur le podium en Autriche et les écuries de Formule 1 se retrouvent près des plages de la Mer du Nord sur le tracé de Zandvoort pour y disputer le Grand Prix des Pays-Bas.
Il ne s’agit pas du tout du circuit hollandais qu’on connaît aujourd’hui. L’ancien Zandvoort était beaucoup moins sécuritaire et le premier virage, qui suivait une longue ligne droite, consistait en une épingle assez large qui tournait à droite et nommée Tarzan.
Le Français René Arnoux installe sa Renault turbo RS10 en pole position devant les Williams FW07-Ford d’Alan Jones et de Clay Regazzoni, l’autre Renault de Jean-Pierre Jabouille et les Ferrari de Scheckter et de Villeneuve.
Villeneuve réussit un véritable départ de drag ! Au freinage pour Tarzan, il occupe le second rang derrière Jones. Mais derrière eux, ça cogne dur. Un accrochage élimine Arnoux et Regazzoni tandis que quelques virages plus tard, la Lotus 79-Ford de Carlos Reutemann percute l’arrière de la Tyrrell 009-Ford de Jean-Pierre Jarier.
Alan Jones mène la course, mais est pourchassé par Villeneuve. Au 11e tour, Villeneuve réussit à passer devant la Williams en la doublant par l’extérieur dans le virage Tarzan ! Mario Andretti avait déjà tenté cette manœuvre dans ce virage contre James Hunt en 1977, mais cela s’était terminé par un accrochage. Mais cette fois, Villeneuve fait preuve de finesse et prend la tête de la course.
Villeneuve occupe le premier rang, mais ses pneus Michelin se dégradent. La tenue de la route de la Ferrari devient de plus en plus erratique. Au 47e tour, la Ferrari, instable, touche un vibreur et dérape, ce qui permet à Jones de repasser en première place. Villeneuve n’a miraculeusement rien touché. Il n’a perdu que 10 secondes sur Jones.
Catastrophe dans le virage Tarzan
Cependant, deux tours plus tard, le pneu arrière gauche de la Ferrari éclate à pleine vitesse devant les puits. Villeneuve freine, mais sa voiture part en tête-à-queue dans Tarzan. Le Québécois sélectionne la marche arrière, revient en piste et décide de repartir pour faire changer son pneu crevé.
Villeneuve ne roule pas au ralenti. Il passe les rapports et atteint vite des vitesses folles. Le pneu frotte par terre et soudainement, la jante et toute la suspension arrière cèdent. Villeneuve garde le pied à fond sur l’accélérateur même s’il roule sur trois roues. L’avant et l’arrière de la Ferrari frottent l’asphalte alternativement, ce qui provoque des gerbes d’étincelles. Les reste du pneu, la jante et toute la suspension arrière traînent derrière la Ferrari !
Après avoir effectué presqu’un tour complet sur trois roues, Villeneuve entre aux puits et s’arrête, croyant que ses mécanos vont lui installer un pneu neuf. Mais Mauro Forghieri, le directeur technique de Ferrari, lui fait signe que tout est fini ; il n’y a plus rien derrière la monoplace. Villeneuve dégrafe son harnais et, debout dans le cockpit, jette un regard sur l'arrière bien amoché de son bolide.
Si les amateurs s’extasient devant le spectacle offert par le Québécois, certains, dont le vainqueur de la course, Alan Jones, jugent que Villeneuve en a trop fait à cette occasion.
« Il a arraché la roue arrière gauche de sa voiture et il est retourné aux puits à toute vitesse avec la roue qui se baladait au bout de la durite de frein. Cela ne m’avait pas vraiment plu sur le moment » a raconté Jones dans un numéro spécial du magazine Paddock.
« Après la course, je suis allé lui expliquer. “Je comprends que tu veuilles ramener ta voiture aux puits si tu ne veux pas t’y rendre à pied. C’est très bien de vouloir demeurer assis dans le cockpit de ta Ferrari, mais si la durite de frein avait cédé au mauvais moment, ta roue se serait détachée et elle aurait percuté de plein fouet la voiture qui te suivait.” Je lui ai dit que j’avais trouvé son geste pas mal stupide, mais c’était typique de Gilles. Il était le pilote parfait pour Ferrari. En fait, il aurait été un excellent pilote Lotus, car selon Colin Chapman, la voiture parfaite croisait la ligne d’arrivée avec seulement trois boulons en place, tout le reste s’étant désagrégé au fil des tours. Gilles possédait un contrôle ahurissant de sa voiture. Un talent immense. Il était un compétiteur extrêmement déterminé, dur et très volontaire ».