Voici le troisième volet qui raconte des anecdotes de voyages à des événements de course automobile à travers le monde depuis mes débuts comme journaliste.
Je vous ai raconté les souvenirs de Stéphane Proulx en F3000 à Nogaro en 1990 et la couverture de la course de la série CART à Surfers Paradise en Australie en 1993.
Cette fois, nous sommes en juillet 1985 et je vais assister au Grand Prix de France de Formule 1 présenté sur le magnifique circuit Paul-Ricard situé au Beausset à moins de 20 kilomètres de la Méditerranée et des villes de Bandol et de Toulon.
Quelques semaines plus tôt, à titre de membre fondateur du McGill Motorsport Research Group, j’ai travaillé à l’évaluation de la condition physique et des aptitudes psychologiques et psychomotrices de plusieurs pilotes de F1, incluant Nigel Mansell et Ayrton Senna, lors de leur passage à Montréal pour disputer le Grand Prix du Canada.
Puisque j’allais passer des vacances en Europe, j’ai donc eu l’intention d’assister au Grand Prix de France prévu le 7 juillet et ainsi discuter avec Mansell et Senna de leurs évaluations.
Grâce aux efforts du docteur Jacques Bouchard, médecin en chef au GP du Canada, Suzanne Payne, alors directrice générale du GP Labatt du Canada, rédige et poste une lettre de demande d’accréditation aux organisateurs de la course française (eh oui, pas d’Internet à cette époque !)
Mais les semaines passent et je n’ai aucune nouvelle du circuit Paul-Ricard. Arrivé à Paris, je loue une voiture (une Renault Supercinq) et je me rends chez un ami qui habite dans les Pyrénées. Quarante-huit heures avant notre départ pour Toulon, j’appelle au circuit pour savoir si je suis bien accrédité. On me balade d’un département à un autre, c’est long et je hausse le ton, faisant bien comprendre que la demande a été faite par la patronne du Grand Prix canadien. L’appel se termine sans savoir si j’ai été bien compris.
Mon ami Jean-Claude, son fils Florian et moi partons avec ma Renault à deux heures du matin le jeudi en direction de Toulon, une balade de 550 km. Nous arrivons au circuit tôt en matinée. Il fait beau et surtout très chaud. À la petite cabane d’accréditation, je suis accueilli par un : « Vous êtes M. Fagnan ? On vous attendait ! ». Et on obtient toutes les passes qu’on voulait. Notez les accréditations en carton d’une ahurissante simplicité (photo ci-dessus) !!
J’avais prévu un Plan B et avait demandé à Nigel Mansell s’il comptait utiliser sa passe « Guest » d’invité. N’en ayant pas besoin, il me la confie pour le week-end, ce qui permet d’accéder à des endroits contrôlés. Nous allons voir Ayrton Senna au camion du Team Lotus (voir la photo ci-dessous). Il est étonné de me voir et me demande ce que je fais là. Il me pose des questions sur ce que j’ai visité et vu, et sur son programme d’entraînement. L’ambiance est très relax. Je discute aussi avec Paul Simpson, marathonien et mécanicien de la Lotus de Senna, qui est venu nous voir à McGill.
Vendredi, je fais un peu de photos et ma série de passes me permet même d’entrer dans les garages ! Au bord de la piste, je suis pétrifié par le son effroyable que font les voitures à moteurs turbo de plus de 1000 chevaux quand ils filent sur la ligne droite du Mistral à près de 340 km/h. On jurerait entendre des avions de chasse passant en rase-motte ! Le son est tout simplement hallucinant.
Gros accident pour Nigel Mansell
Samedi matin durant les essais libres, la Williams FW10 à moteur Honda turbo de Mansell sort de piste à 320 km/h à la suite de l’éclatement d’un pneu arrière. La voiture traverse les grillages de protection et le casque de Mansell est percuté par une roue avant. Il est extrait inconscient de son épave et est transporté à l’hôpital de Marseille où les médecins confirment qu’il souffre d’une sévère commotion cérébrale.
De retour à notre hôtel à 17h30, je décide d’appeler l’hôpital pour prendre de ses nouvelles. Contre toute attente, on me transfert au bon département et j’entends Nigel dans l’appareil me dire « Helllloooo ? ». Il est vaseux et a un peu de mal à parler. Il me dit que ça va, mais qu’il a bien mal à la tête et me demande de redonner la passe à son ami, le journaliste Peter Windsor.
Dimanche 7 juillet, il fait encore plus chaud et l’enceinte accueille 30 000 spectateurs. Tous les trois sommes installés en haut des garages avec une belle vue sur la ligne droite avant. Sur la grille de départ, on retrouve Keke Rosberg en pole position à bord de sa Williams FW10-Honda devant Ayrton Senna sur sa Lotus 97T-Renault, Michele Alboreto à bord d’une Ferrari 156/85, Alain Prost sur une McLaren MP4/2B-TAG, Nelson Piquet au volant d’une Brabham BT54-BMW et Niki Lauda sur l’autre McLaren.
Contrairement à la plupart des autres écuries chaussées en pneus Goodyear, la Brabham de Piquet est munie de pneus Pirelli qui adorent les grosses chaleurs. Au feu vert, Rosberg conserve son avantage et mène les 10 premiers tours avant d’être doublé par Piquet qui a pris le départ aux commandes du mulet.
C’est la canicule, le soleil frappe fort et les moteurs explosent : celui de Jacques Laffite, puis celui d’Alboreto, ensuite Philippe Alliot et aussi le V6 turbo de Senna. Dans la course de Signes, le moteur de la Lotus a explosé et la voiture a glissé sur l’huile répandue. La Lotus a fracassé plusieurs rangées de grillage et a percuté les rails de protection à très haute vitesse. Heureusement, le Brésilien n’a rien.
Piquet et sa Brabham sont imbattables. Nelson remporte la victoire, sa première depuis un an, et termine devant Rosberg et Prost.
Faut-il préciser qu’en 1985 il n’y avait qu’une seule petite route sinueuse, la RN8, pour se rendre au circuit et le quitter. Alors imaginez le trafic… Nous tentons de sortir du parking à 15h. Nous en sortons (enfin) à 16h. Il nous faut quatre heures pour rallier Nîmes qui n’est qu’à 170 km, soit une vitesse moyenne de 42 km/h. Après un rapide souper, nous reprenons l’autoroute et arrivons finalement à destination, à Toulouse, en soirée. Il est presque 22h.
Je dis au revoir à Jean-Claude et son fils qui vont rentrer chez eux. Au cours des prochains jours, je prévois rouler sur le circuit de Spa-Francorchamps et assister à une course nationale sur le petit tracé de Croix-en-Ternois dans le nord de la France. Mission accomplie !