La Fédération internationale de l’Automobile s’est décidée à bannir les monstrueuses voitures de rallye du Groupe B après l’effroyable accident qui a coûté la vie à Henri Toivonen et Sergio Cresto durant le Tour de Corse, en 1986. Les bolides du Groupe B étaient surpuissants, pénibles à maîtriser, technologiquement très compliqués et très coûteuses à fabriquer. Il s’agissait essentiellement des Peugeot 205 Turbo 16 E2, Audi Quattro Sport S1, Lancia Delta S4 et Ford RS200. Mais ces voitures étaient hyper spectaculaires et adorées des fans.
La Lancia ne pesait que 890 kilos et était propulsée par un moteur quatre cylindres en ligne de 1,76 litre gavé par un turbo KKK 27 et un compresseur Abarth Volumex R18. Alimenté par un carburant "spécial" contenant une forte concentration en toluène, il crachait près de 500 chevaux.
Au Rallye du Portugal tenu en mars 1986, Joaquim Santos perd le contrôle de sa Ford RS200 en tenant d’éviter une foule compacte de spectateurs se tenant sur la route, comme c'était l'habitude à cette époque. Il les percute, en tue trois et en blesse une trentaine. Le monde du rallye s’inquiète des dangers courus par les participants et les spectateurs.
Le Tour de Corse est prévu du 1 au 3 mai. L’un des meilleurs pilotes est le Finlandais Henri Toivonen. Pourtant Scandinave, il s’intéresse non pas aux rallyes, mais plutôt au circuit routier à ses débuts. Il court en karting, en voitures de tourisme puis en Formule Vee et Super Vee. Il bifurque ensuite vers le rallye, mais ne peut s’empêcher de rouler sur les circuits. Il dispute d’ailleurs une course d’endurance au volant d’une Porsche 956 aux 1000km du Mugello en 1983 et Porsche envisage de le recruter pour l'un de ses prototypes d'usine par la suite, mais il préfère rester fidèle à Lancia et au rallye mondial.
À ce Tour de Corse 1986, Toivonen et son co-pilote Sergio Cresto sont aux commandes d’une Lancia Delta S4 aux couleurs de Martini. Cette épreuve épuisante est souvent qualifiée de "Rallye des 1000 virages". Pour compliquer les choses, Toivonen souffre d’un rhume et sa gorge est infectée, ce qui l’oblige à prendre des médicaments.
Vendredi 2 mai, les équipages démarrent pour disputer la 18ème spéciale qui relie Corte à Taverna. Lancée à toute allure dans cette spéciale, la Lancia n’arrive pas à négocier un virage serré à gauche qui n’est pas bordé de rails de sécurité. La voiture plonge dans un ravin, percute des arbres et s’écrase en bas, sur le toit. Le réservoir de carburant en aluminium, situé sous le siège du pilote, a été perforé et l’essence prend immédiatement feu. La scène de l’accident est une boule de feu incroyablement intense. Toute la carrosserie, faite d’un matériau composite renforci de Kevlar, se consume complètement. Toivonen et Cresto, déjà morts à bord ou très fortement commotionnés, n’ont eu aucune chance de s’échapper du brasier. Tout ce qui reste de la Lancia est un treillis métallique.
Cet accident survient un an, jour pour jour, après celui, mortel lui-aussi, survenu au pilote italien Attilio Bettega lors de la même épreuve, le Tour de Corse, et au volant d'une voiture identique, une Lancia Delta.
Pas d’explications claires à ce jour
Il est impossible de dire avec certitude pourquoi Toivonen n’a pas négocié le virage. Il existe des images vidéo de mauvaise qualité, mais qui ne montrent pas ce qui s’est passé. Il n’y avait aucun officiel ou spectateur à cet endroit.
Certains affirment que Toivonen et Cresto ont pu être indisposés par des émanations d’essence avant l’accident. D’autres avancent que Toivonen a pu être rendu somnolent par la prise de ses médicaments. Malcolm Wilson, compétiteur à cette époque et aujourd'hui propriétaire de l'écurie M-Sport, rapporte que Toivonen souffrait parfois de brèves pertes de conscience; une conséquence de ses blessures aux cervicales subies au rallye Costa Smeralda, une épreuve du Championnat d'Europe, en 1985. Le Finlandais n’en a jamais parlé à l’écurie Lancia de peur de perdre son volant. D’ailleurs, il n’y a aucune trace de roue bloquée au freinage avant le fameux virage en Corse. Toivonen a-t-il perdu conscience durant une fraction de seconde au moment d’amorcer son freinage ?
Quelques heures après l’accident, la FISA, la branche sportive de la FIA, par la voix de son président Jean-Marie Balestre, a annoncé qu’elle bannissait les voitures de Groupe B dès la saison 1987. Des études de la FIA ont démontré que les réflexes humains ne pouvaient pas suivre la vitesse et les réactions de ces monstrueuses voitures. Les routes n’étaient pas adaptées à de tels véhicules ultra rapides. De plus, le contrôle de la foule faisait réellement défaut. Une masse impressionnante et compacte de gens s’agglutinait alors sur la route et ne s’écartait qu’au tout dernier moment pour laisser passer la voiture de rallye. Bien qu’elles étaient incroyablement spectaculaires à voir rouler, les voitures du Groupe B n’avaient plus leur place sur les routes.
Curieusement, le 31 mai, quelques jours après l’accident mortel de Toivonen et Cresto, un autre drame presqu’identique est survenu. Le pilote de F1 Marc Surer et son co-pilote Michel Wyder disputaient le rallye ADAC Hessen, une manche du Championnat d'Alemagne à laquelle prenait part aussi Michèle Mouton sur Peugeot 205 Turbo 16. Surer et Wyder ont vu leur Ford RS200 quitter la route, percuter un arbre et exploser dans une boule de feu. Wyder a été tué sur le coup tandis que Surer fut grièvement blessé, mais parvint à s’extraire du brasier. Il a souffert de brûlures qui l’ont plongé dans le coma, mais il a survécu.
Surnommées "Killer B" par le pilote américain John Buffum, les voitures de Groupe B ont quitté le Championnat du monde des Rallyes fin 1986 avant de trouver place pendant quelques saisons en Rallye-Raid et en Championnat d'Europe de Rallycross. On en retrouve encore aujourd'hui dans des épreuves de voitures historiques.