Si Jacques Villeneuve sénior, "mon oncle" comme on se surnomme affectueusement, a disputé les 24 Heures du Mans en 1983, il n’en garde pas un souvenir impérissable… Jacques vous dira, avec sa grande franchise, qu’il a disputé cette épreuve mythique dans des conditions presque grotesques et que la voiture était une véritable poubelle.
Retour en 1983. Jacques pilote une énorme Frissbee GR3 à moteur cinq litres Chevrolet en série Can-Am. La saison a commencé sur le circuit de Mosport Park le 5 juin et Villeneuve a remporté la victoire avec une avance de 26 secondes sur l'Ensign-Cosworth DFV de Jim Crawford.
Villeneuve est alors commandité par la chaîne de magasins Canadian Tire. C’est alors qu’entre en scène David Deacon, homme d’affaires torontois qui est aussi pilote automobile amateur et qui occupe le poste de directeur de la marque Porsche chez Volkswagen Canada.
Deacon a disputé les 24 Heures du Mans en 1981 à bord d’une BMW M1 de l’équipe Wurth Team Sauber aux côtés de Marc Surer et Dieter Quester. La voiture avait connu des ennuis mécaniques durant la nuit, les forçant à abandonner. « Canadian Tire m’a contacté et m’a demandé si je voulais superviser la participation de la première équipe toute canadienne aux 24 heures du Mans. Mes coéquipiers seraient Ludwig Heimrath fils et Jacques Villeneuve. J’ai accepté » raconte Deacon, devenu compositeur et interprète musical, dans un podcast animé par le pilote de série NASCAR Canada Gary Klutt.
Les trois compères prennent l’avion en direction de Paris, puis filent au Mans pour la course disputée les 18 et 19 juin. Une équipe de télévision de la CBC les suit durant toute l’épreuve afin de produire un reportage.
Des conditions difficiles pour une course mythique
La voiture de course louée est une Sehcar C6 de Groupe C, un bolide né en 1982 sous l’appellation Sauber SHS C6 et construite par la firme suisse Seger & Hoffman. Après l’abandon du projet par Peter Sauber, la voiture fut rachetée par un autre Suisse, Walter Brun, qui l’inscrit pour l’équipage canadien en 1983. Elle est propulsée par un moteur atmosphérique Ford Cosworth DFL d’une cylindrée de quatre litres.
Déjà, Villeneuve n’est guère impressionné par Paris, la tour Eiffel, les châteaux, la nourriture et le vin français. Lui ne cherche que les McDo ! Il faut faire fabriquer un siège spécial pour Jacques qui a un petit gabarit de 1m65 en comparaison au 1m90 de Deacon et au 1m85 de Heimrath.
Les essais libres commencent mercredi, mais Jacques ne prend pas le volant de la Sehcar. Le lendemain, il peut enfin la conduire, mais c’est en soirée et c’est lui qui a la responsabilité de la qualifier. Le moteur Cosworth ratatouille et a bien du mal à monter en régime. Impossible de le changer, car l’équipe Brun n’en n’a qu’un seul : celui qui est dans la voiture ! Les mécanos tentent ce qu’ils peuvent, mais le V8 ne respire pas la santé.
Jacques parvient à réaliser un tour de piste en 4’00”940 à la vitesse moyenne de 203,593 km/h. C’est une bonne vingtaine de secondes plus lent qu’un tour normal pour cette voiture. Ce chrono les place en 40ème position au départ. Dans une interview accordée alors au magazine Grand Prix International en 1983, Jacques avoue s’être fait embarquer dans un mauvais plan, qu’il n’est pas impressionné du tout et même déçu de la tournure des événements.
Arrive samedi après-midi et le départ de la course. Ses deux coéquipiers vont effectuer les premiers relais et Jacques entrera en action après. Ce dernier décide de s’amuser, car il sait bien que la mécanique de la voiture va lâcher assez rapidement. Alors il y va fort…
Le moteur Cosworth fonctionne un peu mieux et Jacques pousse sa Sehcar à fond comme il sait si bien le faire. Il réalise un bon chrono de 3’38”000 en début de soirée. Il effectue quelques sorties de piste, mais sans faire trop de dommages. Cependant, après 68 tours de course, il ramène la voiture aux puits très malade, car une fuite d’eau s’est déclarée et le moteur a souffert. Il est 22h58, et l’abandon de la voiture No.36 est confirmé. Selon Deacon, la Sehcar avait le potentiel et la vitesse pour se classer dans le Top 10.
Jacques et ses compagnons plient bagages et effectuent le retour au pays. Le plus beau commentaire revient à Derek Warwick, pilote de F1 avec l’écurie Toleman et un des pilotes de la Porsche Kremer CK5/83 à ces 24 Heures du Mans : « Lorsque Jacques était au volant de la Sehcar, elle était beaucoup plus rapide que moi dans les courbes. Lorsqu’elle était conduite par les deux autres pilotes, elle se traînait…»
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