Imaginez ce qui se passe dans la tête d’un jeune coureur automobile qui découvre tout de la Formule 1 et qui se retrouve à rouler en tête alors qu’il ne dispute que son septième Grand Prix !
Ayant profité d’un départ parfait et d’une certaine témérité au premier virage, ce jeune pilote, qui est au volant de rien de moins qu’une prestigieuse Ferrari, prend la commande la course et domine ses rivaux avec une certaine facilité.
Il négocie les virages en légers dérapages, comme il le faisait avec sa petite monoplace de Formule Atlantique. Il adore les circuits urbains bordés de murets en béton et des rails en acier qui ne semblent qu’attendre la moindre erreur de pilotage de sa part.
Le fabuleux moteur V12 de sa monture est parfaitement adapté à ce circuit sinueux composé de plusieurs virages à angle droit, d’une brusque descente à Linden Avenue qui exige un contrebraquage rapide, de deux virages serrés en épingle et une longue ligne droite qui tourne un peu vers la droite et nommée Shoreline Drive.
On approche de la mi-course et deux concurrents commencent à se rapprocher de la Ferrari rouge qui arbore le numéro 12. Notre jeune recrue rattrape aussi un duo de retardataires qu’il voudrait bien vite doubler.
Et puis, bang ! C’est l’accrochage et la Ferrari échoue contre une pile de vieux pneus appuyés contre un muret. C’est fini. Notre jeune pilote ne remportera pas sa première victoire en F1.
Un trou béant s’ouvre devant lui
Cette course est celle qu’a disputée Gilles Villeneuve le 2 avril 1978 dans les rues de Long Beach en Californie. Le Québécois en était à sa première saison en F1 et avait tout à découvrir, et rapidement : sa voiture, les pneus Michelin, les circuits.
Villeneuve est rapide dès les premiers essais libres de ce Grand Prix des États-Unis Ouest. En qualification il donne du fil à retordre à son expérimenté coéquipier, Carlos Reutemann. Si Villeneuve échoue dans la course à la pole position ce n’est que par deux minuscules dixièmes de seconde !
Après le départ, quatre voitures - les deux Ferrari et les deux Brabham Alfa-Romeo de John Watson et de Niki Lauda - amorcent le freinage de la première épingle ensemble. Watson tente de passer à l’intérieur de Reutemann, mais il a freiné trop tard et pousse les voitures de Lauda et de Reutemann vers l’extérieur. Et qu’est-ce qui se passe ? Villeneuve profite de l’énorme trou qui s’ouvre devant lui et négocie le virage en tête !
Et voilà Villeneuve qui mène la course devant des ténors de la F1 incluant Lauda, Mario Andretti, James Hunt et Ronnie Peterson.
Peu avant la mi-course, Villeneuve est toujours premier, mais il constate qu’il est rattrapé par l’autre Ferrari pilotée par Reutemann et la Williams-Ford d’Alan Jones. Devant lui roulent, avec un tour de retard, la Shadow-Ford de Clay Regazzoni et la Renault turbo de Jean-Pierre Jabouille. Villeneuve ne veut pas perdre de temps et décide de vite les doubler. Son inexpérience va lui jouer un très vilain tour…
Il roule derrière la Shadow de Regazzoni. Le Suisse a été évincé de la Scuderia Ferrari à la fin de la saison 1976 et il n’a certainement pas l’intention de se laisser facilement doubler par ce jeune blanc-bec qui lui a pris sa place.
Villeneuve tente de doubler la Shadow dans un virage à gauche à 90 degrés. Mais Regazzoni prend sa trajectoire normale. Villeneuve grimpe sur le trottoir entre la voiture de son rival et le muret de béton. Les pneus surchauffés se touchent et la Ferrari est soulevée dans les airs, effectue une pirouette et échoue lourdement contre le mur de pneus. Villeneuve dégrafe son harnais, s’éjecte du cockpit et traverse la piste pour se mettre en sécurité.
« J’étais dans les roues de la Shadow depuis un demi-tour et je me suis fait surprendre quand Clay a freiné plus tôt que je le croyais. Au lieu de le heurter, j’ai essayé de l’éviter en roulant sur le trottoir. Il n’y avait pas assez de place et ma voiture a atterri dans le mur » avait raconté Villeneuve après sa course dans les pages de l’annuel “Autocourse 1978-79”.
Gilles s’est toutefois magnifiquement bien repris sur l’Île Notre-Dame à la fin de la saison 1978 devant ses fans.