Avant la saison 1982 de Formule 1, les arrêts aux puits, que ce soit pour changer un pneu crevé ou pour ajouter quelques litres de carburant dans la voiture, n’étaient pas planifiés à l’avance. Les pilotes qui s’arrêtaient n’avaient pas le choix de le faire s’ils voulaient continuer la course. C’est l’écurie Brabham et son directeur technique Gordon Murray qui ont eu l’idée de programmer un pit stop durant une course afin d’ajouter du carburant et de changer les pneus.
L’idée leur est venue à la suite de la victoire d’Alain Prost sur une Renault turbo survenue au Grand Prix de France sur le circuit de Dijon-Prenois en 1981. Lors de cette course, Nelson Piquet menait devant Prost, mais un gros orage a éclaté au 59e tour, obligeant la direction de course à brandir le drapeau rouge.
La course a repris une fois la piste sèche. Il restait 22 tours à parcourir et l’écurie Renault a décidé, sur les conseils de Pierre Dupasquier, de faire monter un train de pneus de qualification Michelin sur la Renault. Puisque le réservoir d’essence était vide aux deux tiers, la voiture était légère et ne détruirait pas ses pneus ultra collants. Le pari était audacieux, mais bon : Prost a gagné la course.
Gordon Murray comprend vite que cela représente un avantage indéniable en course pour la saison 1982. La Brabham BT50 à moteur quatre cylindres turbo BMW était handicapée par son énorme réservoir d’essence qui allongeait empattement et haussait le centre de gravité.
« Et si on produisait une voiture plus basse avec un petit réservoir d’essence ? Nous pourrions prendre le départ avec juste assez de carburant pour rouler très vite en début de course, puis ravitailler en essence pour terminer la course » raconte Murray dans son livre "One Formula". « Et si on installait des pneus neufs pour la seconde moitié de la course afin de rouler encore plus vite ? » se demande-t-il.
En comptant le temps requis pour que la voiture entre et ressorte des puits pour ravitailler, Murray et son adjoint David North estiment que l’arrêt ne doit pas durer plus de neuf secondes.
La solution dans des barils de bière !
L’idée est d’injecter l’essence sous pression dans le réservoir. Il faut toutefois prévoir la présence d’un évent au réservoir afin que l’air contenu à l’intérieur puisse s’échapper. Les deux compères trouvent des bidons de bière en aluminium, capables de résister à de hautes pressions.
L’essence est transvidée dans un premier baril qui est connecté au second dans lequel règne une pression de près de deux bars. C’est cette pression pour pousse l’essence dans le tuyau de ravitaillement jusque dans le réservoir du bolide. Murray avoue que le plus difficile fut de trouver les bons connecteurs qui accouplent correctement le tuyau à l’orifice de remplissage de la voiture.
Les premiers essais réalisés à l’usine démontrent qu’il est possible d’injecter 30 gallons d’essence (135 litres) en seulement trois secondes. Pour les changements de roues, Murray opte pour des pistolets pneumatiques équipés d’un mécanisme qui retient l’écrou. Les essais sont filmés par vidéo et analysés.
Pour soulever la monoplace, les premiers essais sont réalisés avec des clics ordinaires, mais ils sont difficiles à insérer sous la voiture. Murray et North conçoivent alors trois vérins pneumatiques réalisés en titane et en aluminium. Il y en a un à l’avant et deux à l’arrière. Un mécano doit activer et désactiver les vérins à l’aide d’une bouteille d’air comprimé et d’une valve.
Le dernier point concerne les pneus. Monter un train de pneus froids aurait été désastreux, car le pilote perdrait presque deux tours à les monter en température de fonctionnement. Murray a donc eu l’idée de les préchauffer dans une sorte de four. Ainsi, la voiture va ressortir des puits chaussée de pneus bien chauds et très collants.
Si l’idée de Murray est excellente, les premiers vrais ravitaillements mènent au désastre. Si les arrêts sont bien réalisés et très courts, le moteur BMW turbo - déjà pas très fiable - n’apprécie pas du tout de tourner au ralenti durant plusieurs secondes dans les puits. De retour à plein régime, il a la fâcheuse tendance à exploser par manque de lubrification peu après l'arrêt.
Lors des sept Grands Prix disputés avec les Brabham BT52B spéciales à petit réservoir, les pilotes Nelson Piquet et Riccardo Patrese ont abandonné à 12 reprises, ne terminant que le Grand Prix de Suisse présenté à Dijon.