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Retour sur la transformation de la Lola GT en Ford GT40 gagnante des 24 Heures du Mans, dans les années 1960 !

Retour sur la transformation de la Lola GT en Ford GT40 gagnante des 24 Heures du Mans, dans les années 1960 !

Samedi 24 février 2024 par Marc Cantin
Crédit photo: Ford Media

Crédit photo: Ford Media

L’humiliation de Henry Ford II (le petit-fils de Henry père et fils d’Edsel Ford) par Enzo Ferrari fut cuisante lorsque ce dernier refusa de signer l’entente de vente de la maison éponyme à Ford. C’est en fait bien connu, rappelé d’ailleurs aux néophytes dans le film Le Mans ’66 (Ford Vs. Ferrari) sorti sur les écrans il y a quelques années. Insulté, l’industriel américain décide alors de rendre la pareille au fier italien en battant ses machines à la plus importante course de l’époque, les 24 Heures du Mans.

En fin de saison 1962, la commande technique pour partir de rien et gagner au Mans dès 1963 est de taille, car Ford à Detroit ne connaissait pratiquement rien aux courses européennes de l’époque. La marque ne possédait pas non plus d’équipe spécialisée en aérodynamique, ni technique, ni dans la gestion appropriée d’une équipe de course. Autre "menu détail" : Ford ne comptait pas dans sa gamme un modèle GT légal prêt à courir et gagner selon les règlements des 24 Heures du Mans de l'époque.

Heureusement, Henry Ford II disposait lui du budget nécessaire pour apposer un baume sur son orgueil blessé par la décision d’Enzo Ferrari. C’est alors que la Lola GT MK6 entre dans le projet. Ford choisit Lola comme partenaire car l’entreprise britannique était alors la plus prometteuse au niveau des connaissances techniques, de la flexibilité et des communications simplifiées avec un seul patron et un minimum de politique. De plus, Lola avait acquis une expérience utile en lançant en tout début de 1963 un modèle GT légal pour Le Mans, équipé d’un "gros moteur V8 américain". Le modèle utilisait en effet le V8 Ford 289 de la Fairlane.

Le premier plan stipulait la livraison de deux Lola GT MK 6 à Ford Angleterre au tout début de 1963, des essais sur piste en fin février, et une décision sur la participation ou non aux 12 Heures de Sebring fin mars, un échéancier presque irréalisable. Les essais des deux Lola GT MK 6 à moteur Ford en préparation pour Le Mans 1963 eurent lieu en Europe, à Brands Hatch, Goodwood, Mallory Park, Monza et Snetterton. Le développement en piste est alors mené par Bruce McLaren, un maître en la matière, aidé par Eric Broadley, le patron chez Lola, et par Roy Salvadori, le vainqueur au Mans 1959 sur Aston Martin DB3 S avec Carroll Shelby, le patron désigné de la portion américaine du projet.

En plus des petits défauts, l’équipe anglaise corrige les principales faiblesses de la MK 6 : le sous-virage, la fragilité des éléments de suspension, la variation non intentionnelle de la direction d’une roue avant en passage sur trou ou bosse, le décollage de l’arrière et la perte du capot arrière à haute vitesse. L’équipe doit aussi choisir les meilleurs accessoires (l’allumage, l’injection, les disques et plaquettes de frein). Reste ensuite à établir des réglages de base des suspensions, des rapports de la crémaillère et de la boîte selon les différentes pistes, la préparation et la stratégie de course pour chaque voiture. On comprend l'ampleur de la charge de travail à accomplir aux essais !

La troisième et dernière Lola GT MK 6 produite est vendue à l’équipe de John Mecom, où on la renforce et installe un moteur Chevrolet de 366 pouces/cube développant plus 500 chevaux, préparé par Traco Engineering. Le nouveau moteur est beaucoup plus puissant que les Ford anémiques et trop fragiles. Pilotée surtout par Roger Penske et Augie Pabst, la Mecom remporta des titres aux États-Unis en 1964 avant de passer dans les mains de pilotes amateurs.

Mais revenons aux deux voitures officielles, soit la Lola MK6 GT qui devient la Ford GT40 Mk2. Après la prestation prometteuse de la MK6 GT au Mans 1963, le projet change évidemment de désignation, devient la GT40 et passe aux mains de Ford Detroit, à temps pour participer au Mans, non pas en 1964 mais en 1965. Voici donc les Lola qui courent surtout en Europe avec des équipes anglaises, et les Ford occupées surtout en Amérique et occasionnellement en Europe, aux mains d’équipes américaines et anglaises. Une espèce d’armée mexicaine avec trop peu de soldats et trop de généraux ! Déjà la bisbille politique est bien en place, surtout avec la contribution des officiels du Mans et de la gestion contradictoire de Ford Europe, Ford Angleterre et Ford Detroit.

De son côté, Eric Broadley retourne chez Lola après son contrat de 18 mois et passe à d’autres projets maison, en séries Can Am, USAC/IndyCar, prototypes 2 Litres et Formule Atlantique, et autres GT pour courir en Endurance IMSA en Amérique. La marque Lola connaîtra beaucoup de succès jusqu’à sa disparition au début du 21ème siècle.

Les Ford GT40 Mk2 elles, vont connaître la formidable destinée que l’on connaît à compter de 1966. Les châssis succédant à la Lola sont construits chez Shelby American par une équipe d’élite : le directeur du projet Carrol Shelby, le responsable de la fabrication Phil Remington, le préparateur Carrol Smith, l’ingénieur Roy Lunn, et le meilleur pilote et responsable de la mise au point, Ken Miles.

Environ 30 pilotes ont couru sur Ford, rien qu'en 1966 et 67. En 1966, on verra les paires Miles/Hulme, McLaren/Amon, Gurney/Grant, Revson/Scott, Neerpasch/Ickx, Hawkins/Donohue, Bucknum/Hutcherson, Lucien Bianchi/Mario Andretti, Whitmore/Gardner et Graham Hill/Brian Muir à leur volant, selon les épreuves en Europe ou en Amérique du Nord.

13 Ford GT40 au total furent fabriquées durant cette période, incluant les Lola originales ou leurs dérivées à petits moteurs de 289 pouces/cube et, bien sûr des Ford GT40 avec le gros moteur Ford de 7 litres FE (427 pouces/cube) tiré de la gamme routière et modifié pour une utilisation sur les longues lignes droites du Mans. Les châssis étaient similaires à celui de la Lola, mais repensés pour accueillir le moteur plus gros, plus léger avec des culasses en aluminium, et plus coupleux et puissant. Un succès !

Ford inscrit quatre GT40 Mk2 au Mans en 1966. Ken Miles a mis la machine au point et mène la course devant trois autres GT40 à quelques tours de la fin. Son patron chez Ford suggère alors que les quatre Ford traversent le fil d’arrivée de front, ce qui fut fait. Le règlement de la course stipule cependant que la distance parcourue par une voiture et son résultat officiel de la course doit prendre en compte la distance parcourue de la position sur la grille officielle jusqu'au premier passage de chaque voiture sur la ligne de départ, comme à tous les autres tours de la course. La Ford américaine de McLaren/Amon (photo ci-dessus), placée 18 mètres derrière celle de Miles sur la grille au départ, est donc déclarée gagnante. Miles est rétrogradé à la 2ème place au final, ce qui enrage toute l’équipe Ford en plus de miner le moral de Ken Miles, qui a fait le gros du travail de déverminage et de mise au point de la GT40.

Pire encore, Ken Miles perd la vie quelques mois plus tard dans un accident au Riverside Raceway, près de Los Angeles, en travaillant à la GT40 Mk4 appelée à remplacer la GT40 Mk2A pour la saison suivante. La GT40 Mk2A devient alors la 2B lors des préparations détaillées pour le Mans 1967. Ford crée une super équipe avec notamment Dan Gurney et AJ Foyt pour cette édition. Les deux pilotes vont dominer, s’imposant avec 4 tours d’avance sur la Ferrari 330 P4 de Scarfiotti et Parkes. La voiture est facile à reconnaître avec une petite bosse à droite sur le toit pour accommoder le grand Dan Gurney, et une coque plus spacieuse pour Foyt, le Texan plus trapu que son partenaire ! Ce dernier invente la douche de champagne sur le podium, encore utilisée aujourd’hui au grand bonheur de la marque Moët-et-Chandon à l’époque.

Le week-end suivant les 24 Heures du Mans 1967, Gurney remporte son unique victoire aux commandes d’une voiture de sa fabrication, la Eagle construite dans ses ateliers All American Racers (AAR). Les GT40 elles, vont encore gagner Le Mans en 1968 et 69, avec Pedro Rodriguez et Lucien Bianchi puis avec Jacky Ickx et Jackie Oliver. Ces victoires amènent le total à quatre victoires pour Ford répartie sur 5 années : 1966, 67, 68 et 69. Mission accomplie !