Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Interview exclusive avec Frédéric Brousseau, ce Québécois devenu directeur des opérations chez Williams F1

Interview exclusive avec Frédéric Brousseau, ce Québécois devenu directeur des opérations chez Williams F1

Jeudi 8 février 2024 par René Fagnan
Crédit photo: Facebook/Frédéric Brousseau

Crédit photo: Facebook/Frédéric Brousseau

Le 14 mars de l’an dernier, l’écurie de Formule 1 Williams causait une certaine surprise en annonçant l’embauche du Québécois Frédéric Brousseau au poste de directeur de ses opérations.

Diplômé de l'Université de Sherbrooke en génie mécanique avec spécialisation en aéronautique, Brousseau a joint les rangs de Pratt & Whitney Canada en 1997. À titre de directeur général du Centre aéronautique de Mirabel, il a dirigé l'ouverture de l'installation et de la ligne de production pour les moteurs qui équipent l'Airbus A220. En avril 2022, il a été nommé vice-président des opérations et a supervisé les opérations mondiales de l'entreprise, qui englobent 12 sites au Canada, en Pologne, au Maroc et en Chine.

Lors d’une très rare interview gentiment accordée à Pole-Position, Brousseau a discuté de plusieurs sujets, incluant son recrutement. « En fait, c’est Dorilton [la société d’investissements en capital qui possède Williams] qui m’a approché » nous raconte-t-il. « Je travaillais chez Pratt & Whitney et j’étais allé assister à une conférence à Hartford donné par le Dr Will Roper durant laquelle il a parlé de l’arrivée de l’intelligence artificielle en F1. Ça m’a vraiment fasciné. Après la conférence, j’ai consulté mes courriels sur mon téléphone. J’avais un message de Dorilton qui disait qu’il y a une place pour moi chez Williams ! Je ne croyais pas à une telle coïncidence ! Les discussions ont été longues, car j’étais heureux chez Pratt & Whitney. J’aimais la F1 et j’avais “trippé” quand Jacques Villeneuve est devenu champion en 1997 ».

Brousseau a finalement accepté l’offre faite, laissant ici au Québec épouse et enfants. « L’aviation ressemble à la F1 d’un point de vue technologique. Les processus d’affaires et de production se ressemblent aussi. Mon travail ici est de rendre l’écurie plus efficace et plus performante ».

Il révèle que l’imposition d’un plafond budgétaire en 2021 a imposé un énorme défi aux écuries de F1. « Auparavant, c’était une guerre de dollars, mais c’est devenu une guerre à savoir quelle équipe sera la plus efficace. La F1 est devenue un vrai business. Avec le plafond budgétaire, c’est à savoir quelle équipe réduira le plus ses coûts, améliorera le plus sa qualité de production et la fiabilité de ses voitures, celle qui emploiera les meilleurs processus d’affaires et celle qui disposera des meilleures plateformes informatiques afin de réduire les délais en design et en production » précise-t-il.

Il ajoute : « Les gars comme moi qui viennent d’un environnement commercial de haute technologie sont désormais courtisés par les écuries de F1. Avant l’imposition du plafond budgétaire, si une écurie rencontrait un problème opérationnel, il suffisait d’injecter de l’argent et le problème était réglé. Maintenant ça ne fonctionne plus comme ça. La clé est de dépenser hyper efficacement l’argent dont on dispose ».

Instaurer une vision à long terme

Brousseau insiste sur le fait que le fonctionnement du monde de l’aviation commerciale peut aider une écurie de F1 qui doit vite réagir à tous les problèmes. « Il faut prendre les processus que nous avons en aviation et les rendre plus agiles pour l’environnement de la F1. Mais tout n’est pas seulement qu’une affaire de rapidité. Quand je suis arrivé ici, l’organisation était centrée sur la livraison de deux voitures pour le Grand Prix à venir. Du très court terme. On veut donc changer cette façon de fonctionner et instaurer une vision à plus long terme. C’est comme ça que ça fonctionne dans toutes les entreprises commerciales, mais pas vraiment en F1 à cause de la pression à livrer des voitures à court terme. Je désire inculquer à l’organisation qu’il ne faut pas juste livrer deux voitures à nos pilotes, mais aussi leur livrer un produit de qualité » affirme-t-il.

Il ajoute que l’écurie Williams doit changer ses façons de faire. « Ici chez Williams, il faut rattraper des décennies de retard, car durant les dernières années, la famille Williams n’avait plus les moyens d’investir dans l’organisation. Toutefois, l’écurie a énormément grossi, mais a conservé la même façon de fonctionner que lorsqu’il n’y avait qu’une centaine d’employés alors que nous sommes 1100 ou 1200 aujourd’hui. Ça ne peut plus fonctionner de la même manière. Nos systèmes et nos processus actuels ne sont pas du tout efficaces ».

« Dans toutes les entreprises cotées en bourse, les dirigeants doivent présenter aux actionnaires des rapports trimestriels et atteindre des objectifs, mais ils doivent aussi avoir un plan de cinq ans et un plan de 10 ans. Nous devons adopter ce mode de fonctionnement. Et en 2026, la règlementation technique de la F1 va changer, et il faut maintenant réfléchir à notre façon d’approcher 2026, puis 2028. Il faut établir un plan à long terme, et c’est exactement ce que je faisais dans l’aviation » affirme celui qui détient aussi une maîtrise en administration des affaires des Hautes Études Commerciales à Montréal.

« Je suis un gars de business, pas de F1. J’ai travaillé pendant 25 ans dans l’aéronautique. Quand j’ai quitté Pratt & Whitney j’étais vice-président aux opérations et j’avais une quinzaine d’usines sous ma responsabilité. Mon rôle était beaucoup plus important que celui que j’ai ici. J’ai été formidablement bien accueilli chez Williams. La nouvelle équipe de direction est vraiment exceptionnelle. Nous sommes six nouveaux dirigeants, arrivés il y a tout juste un an. Chacun de nous possède une expérience extrêmement pointue de son domaine. Notre objectif commun est de ramener Williams au sommet de son art » nous confie Brousseau.

« James Vowles [le directeur de l’écurie] est un orateur exceptionnel qui sait comment motiver ses troupes et diriger une équipe. Quand j’assiste à un Grand Prix, il m’accompagne sur la grille de départ et me montre certaines particularités des autres voitures et me confie : « C’est comme ça que je veux faire ». Dans les garages, j’observe comment c’est organisé, j’écoute les conversations radio, je discute avec le mécanicien en chef et les ingénieurs, bref j’apprends le fonctionnement de l’équipe sur le terrain et comment on peut l’améliorer. Mais ma job se passe essentiellement à l’usine. Si en plus je vais à à un Grand Prix, ça me fait une semaine de plus d’une centaine d’heures » avoue-t-il.

Alors, travailler en F1, c’est comment ? « Par facile, car je voyage beaucoup. Je suis ici à Grove pendant quatre, cinq ou six semaines, puis je retourne à Montréal pour une semaine, je télétravaille, et je reviens ici en Grande-Bretagne » nous explique-t-il. « Ma famille est loin. C'est un choix, car il n’y a rien de parfait dans le monde. Mais d’un point de vue professionnel, je suis comblé. Maintenant je peux vous certifier que la série “Drive to survive” n’a rien à voir avec la réalité ! » de conclure Brousseau.