Retour sur le Grand Prix de France de 1922 à une époque où les circuits empruntaient des routes ordinaires souvent en mauvais état, où les voitures étaient fragiles et dangereuses à conduire, et où les concurrents prenaient des risques insensés.
Le Grand Prix de l’Automobile Club de France de 1922 se déroule le 16 juillet, quatre années après la fin de la Grande Guerre. L’épreuve est disputée en Alsace, près de Strasbourg, sur des routes habituellement ouvertes à la circulation. Le tracé de forme triangulaire relie les communes de Duttlenheim, Entzheim et Innenheim et est long de 13,38 km. Il est constitué de trois longues lignes droites et de deux virages à angle droit et d’un autre très serré.
Dix-huit voitures sont inscrites. On compte des Fiat 804, des Bugatti Type 30 ainsi que des Ballot 2LS, Aston Martin GP, Sunbeam et Rolland Pilain A22. À noter qu'à cette époque, les voitures ne portaient pas encore le nom de "Formule 1".
Les Fiat sont motorisées par un moteur six cylindres en ligne d’une cylindrée de deux litres et qui développe 100 chevaux à 4 500 tours/minute. Les Bugatti disposent d’un moteur huit cylindres en ligne de deux litres, lui aussi capable de produire 100 chevaux à 5 000 tours/minute. On remarque facilement que l’aérodynamique n’était pas une priorité à cette époque. Quelques voitures possédaient une carrosserie en forme de goutte d’eau qui permettait de réduire la traînée. L’important était de pouvoir compter sur un moteur puissant.
En revanche, les Ballot 2LS (des voitures produites par les Français Édouard et Maurice Ballot) arrivent à Strasbourg avec une nouvelle robe : une carrosserie enveloppante qui enferme la roue de secours (accessoire obligatoire) à l’intérieur du nez bulbeux de la voiture.
Les mécaniques sont mises à dure épreuve
La course se déroule sur une distance de 500 milles, soit 808,88 km (comme à Indianapolis). Aussi bizarre que cela puisse paraître, les positions de départ sont attribuées par tirage au sort, comme c’est de coutume à ce moment. Felice Nazarro (photo ci-dessus), qui pilote une Fiat 804, décroche la première place sur la grille de départ. Le départ est donné à 8h15 du matin le 16 juillet.
Au deuxième tour, les Fiat occupent les trois premières places. Toutefois, les conditions sont pénibles. Le circuit est long et rapide, et les routes sont poussiéreuses et en mauvais état (nous sommes juste après la fin de la guerre). Le passage répétitif sur les bosses et les trous endommage la mécanique des bolides, et plusieurs concurrents abandonnent à la suite de casses mécaniques.
À six tours de la fin, Pietro Bordino mène, mais sa Fiat a encaissé trop de coups. Il est doublé par une autre Fiat, pilotée par Felice Nazarro. Quelques instants plus tard, l’essieu arrière de la voiture de Bordino casse net. Grâce à son talent, et un peu de chance, Bordino et son mécanicien s’en sortent miraculeusement indemnes. Ce ne sera pas le cas de Biagio Nazarro, le neveu de Felice. L’essieu arrière de sa Fiat casse lui-aussi, mais cette fois, le bolide est projeté hors route et percute un arbre. Malheureusement, Biagio Nazarro et son mécanicien sont tués sur le coup.
Après six heures et 17 minutes de course folle, Felice Nazarro, âgé de 42 ans, gagne le Grand Prix à la vitesse moyenne de 125 km/h. L’Espagnol Pierre de Vizcaya termine deuxième sur une Bugatti 30 devant son coéquipier, le Français Pierre Marco.
Felice Nazarro ne célèbre pas son triomphe. Il vient de perdre son neveu dans un accident tragique. De plus, ses mécaniciens viennent de lui apprendre que le caisson de l’essieu arrière de sa Fiat présente aussi d’inquiétantes craquelures… Nazarro sait qu’il a été très chanceux.