C’est l’histoire de deux frères très unis qui ont eu l’idée un peu déraisonnable de concevoir et de fabriquer une monoplace de Formule 1 100% brésilienne et de la faire courir par leurs propres moyens.
L’histoire d’Emerson Fittipaldi ressemble étrangement à celle de Jacques Villeneuve, le fils de Gilles. Les deux ont quitté une écurie avec laquelle ils avaient été sacrés Champions du monde pour tout risquer presque aveuglément dans une toute nouvelle équipe crée par un proche (Wilson dans le cas d’Emerson, et Craig Pollock dans celui de Villeneuve).
Wilson et Emerson Fittipaldi, aidés par un ami d’enfance, l’ingénieur Ricardo Divila, ont d’abord couru en karting et en Formule Vee au Brésil avant de tenter l’aventure en Europe. Si Wilson n’a disputé que 35 Grands Prix de F1 sans grands succès, son frère Emerson a remporté 14 victoires et a été sacré Champion du monde à deux reprises, en 1972 avec Lotus et 1974 avec McLaren.
Ces titres ont propulsé Emerson au rang de “dieu” dans son Brésil natal, presqu’à égalité avec le roi Pelé. Devant un tel enthousiasme, les deux frères et Divila ont eu ce projet un peu insensé de créer la toute première écurie et la première monoplace de F1 brésiliennes.
Pour cela, il leur faut un commanditaire solide. Ils le trouvent en Copersucar ; le géant brésilien d’alcool et du sucre. Divila se met au travail et conçoit une voiture très effilée dont le moteur Ford Cosworth DFV et la transmission Hewland sont carénés afin de générer le moins de traînée possible (voir la photo du bas). Cette Copersucar FD01, pilotée par Wilson en 1975, n’est pas une grande réussite. Divila se remet au travail et produit la FD02 puis la FD03.
Emerson Fittipaldi change d’équipe
Emerson, insatisfait du salaire que lui propose Teddy Mayer de McLaren malgré son titre de Champion du monde, quitte l’écurie britannique et prend le volant de la Copersucar en 1976, Wilson ayant pris sa retraite sportive. Les Fittipaldi et Divila se rendent compte qu’opérer une base de F1 depuis le Brésil est rudement compliqué, car les sous-traitants brésiliens ne sont pas tout à fait aussi qualifiés et expérimentés que ceux situés au Royaume-Uni. Il leur faut désormais faire fabriquer des pièces en Grande-Bretagne et les faire expédier au Brésil, ce qui coûte très cher.
Emerson pilote donc la FD04 en 1976. Elle est fragile, casse souvent et "Emmo" ne récolte que trois places de sixième. Divila et Emerson ont régulièrement des discussions endiablées au sujet de la direction technique à prendre et aux modifications à apporter au bolide. Divila est finalement mis à l’écart et la Copersucar F5 est conçue par Dave Baldwin (ex-Ensign). Elle apparaît en milieu de saison 1977. Elle casse souvent, ne se qualifie pas à deux reprises, mais "Emmo" termine quatrième à son volant aux Pays-Bas.
Pour la saison 1978, la F5 est aérodynamiquement modifiée par Giacomo Caliri de FLY Studio qui use de ses contacts avec Ferrari. Au Grand Prix du Brésil, Emerson se qualifie septième et termine la course au second rang ! Le Brésil exulte ! Ce podium sera le seul de toute l’histoire de l’écurie Copersucar en 71 Grands Prix. Car malgré quatre top 5 en fin de saison, la F5A est toujours aussi peu fiable.
La saison 1979 commence par une sixième place en Argentine, puis on assiste à une suite décourageante d’abandons mécaniques. La F6, qui est sensé générer de l’effet de sol, est peu efficace et Emerson se qualifie de plus en plus à l’arrière du peloton. La gestation de cette F6 a nécessité un an et demi de labeur, trop long, et à peine a-t-elle commencé à rouler que l’écurie se rend compte que le châssis manque nettement de rigidité.
Rachat de l’écurie de Walter Wolf
La compagnie Copersucar est franchement déçue par ce manque flagrant de résultats et quitte l’aventure des Fittipaldi. Pour 1980, l'écurie est rebaptisée Fittipaldi Automotive. Avec l’aide financière de la bière brésilienne Skol, les Fittipaldi rachètent les actifs de l’écurie canadienne Wolf : l’usine, les voitures WR7-8-9, le gérant d’équipe Peter Warr, l’ingénieur Harvey Postlethwaite et un pilote, Keke Rosberg. Les voitures sont modifiées et rebaptisées Fittipaldi F7 en attendant que Postlethwaite crée la F8. À son volant, Rosberg réalise un miracle en terminant troisième en Argentine en début de saison. C’est à ce moment qu’un jeune ingénieur, Adrian Newey, est recruté par Postlethwaite.
Si Keke décroche des résultats honorables, ce n’est pas le cas d’Emerson qui est de moins en moins motivé à donner tout ce qu’il peut en piste et qui a du mal à trouver la motivation à piloter une voiture à effet de sol. La F8 fait son apparition à la mi-saison et si elle est un peu plus rapide en qualification que la F7, elle manque (encore une fois) de fiabilité. Emerson décide d’accrocher son casque et met sous contrat un compatriote, Chico Serra (champion de F3 britannique), pour seconder Keke Rosberg en 1981.
Cependant, Skol a quitté les Fittipaldi et les caisses de l’écurie sont presque vides. « Copersucar et Skol n’ont pas compris qu’il nous fallait du temps et beaucoup d’argent pour réussir. Ils croyaient que notre succès serait immédiat. La pression venant d’Amérique du Sud devint insoutenable et les commanditaires ne voulaient plus attendre » raconte Divila dans une interview accordée au magazine Motor Sport.
L’écurie ne participe qu’à neuf Grands Prix avec l’aide de minuscules commanditaires dont les logos disparates s’affichent pêle-mêle sur la carrosserie. Tout casse sur cette F8C et l’équipe doit changer de fournisseurs de pneus à trois reprises (Michelin, Avon et Pirelli) au cours de l’année. Keke Rosberg doit même menacer Emerson Fittipaldi d’aller en procès si son salaire, très en retard, n’était pas versé. Ce qui fut fait, mais Keke décide d’aller voir ailleurs. Imité par Postlethwaite et Newey.
Dave Baldwin et Tim Wright sont engagés pour dessiner une nouvelle voiture, la F9. Serra est l’unique pilote de l’écurie et sa saison commence aux commandes de la F8D bariolée de logos de petites entreprises. Il termine sixième en Belgique (après la disqualification de la McLaren de Niki Lauda pour poids non-conforme), mais abandonne trois fois en six épreuves. La F9 fait son apparition en Allemagne où Serra termine 11e. Puis, il se classe septième en Autriche et 11e en Italie.
« Nous n’avions pas un sou. Nous avons créé un consortium de 13 entreprises pour la saison 1982, mais seules six d’entre elles ont honoré leurs contrats. Nous avons vendu pas mal de nos biens personnels pour que le projet fonctionne. Et au final, nous avons tout perdu » termine Divila. Quelques voitures des modèles Copersucar et Fittipaldi ont été sauvées et participent parfois à des événements publics.