Le Grand Prix du Japon de 1977 n’a certainement pas été la course la plus passionnante, ni la plus disputée de l’Histoire de la Formule 1. Elle se distingue essentiellement par l’absence de Niki Lauda, l’arrivée de Gilles Villeneuve chez Ferrari, la grotesque cérémonie du podium et la dernière victoire en F1 de "Master" James Hunt.
Au milieu des années 70, les deux grandes vedettes de la Formule 1 sont l’Autrichien Niki Lauda et le Britannique James Hunt. Tout dans le pilotage et dans la vie de tous les jours les séparent. Lauda est froid, calculateur, ne laisse paraitre aucune émotion, travaille comme un forcené et a une âme d’entrepreneur. Hunt est tout le contraire : il est l’amant de plusieurs dames, fume comme une cheminée, est effroyablement stressé par la course automobile, profite de tout ce que peut lui offrir la vie, ne déteste pas toucher aux drogues et dépense sans compter.
Avec Hunt l’extraverti, c’est la joie de vivre, la vie à 300 km/h, les excès en tous genres, le sens de la fête, un goût pour la provocation et une certaine désorganisation. Avec Lauda l’introverti, c’est le calme, l’introspection, le calcul du risque, une vie ordonnée et rangée, et une incroyable détermination à réussir.
Les deux sont toutefois immensément talentueux. Lauda a appris le métier à la dure tandis que Hunt possède un talent naturel étonnant. Les deux ont appris les bases de la F1 au sein de petites écuries disposant de peu de budget et dans des conditions parfois difficiles (March pour Lauda et Hesketh pour Hunt).
En cette fin de 1977, Lauda pilote pour Ferrari tandis que Hunt est chez McLaren, L’Autrichien vient de récolter son deuxième titre mondial alors que Hunt n’a amassé que deux victoires cette année et figure au cinquième au classement des pilotes. Au Grand Prix du Canada, Lauda a claqué la porte de la Scuderia Ferrari et n’a pas couru à Mosport et il ne sera pas dans le cockpit de la Ferrari 312 T2 à Fuji pour la présentation du dernier Grand Prix de la saison au Japon. C’est le Québécois Gilles Villeneuve qui est aux commandes d’une des deux Ferrari rouges.
Mario Andretti décroche la pole position à bord de sa Lotus 78-Ford V8 noire devant Hunt (McLaren M26-Ford), John Watson et Hans Joachim Stück (les deux sur Brabham BT45B-Alfa Romeo V12), Jacques Laffite (Ligier JS7-Matra V12) et Jody Scheckter sur une Wolf WR3-Ford.
Hunt a d’abord roulé avec sa monoplace habituelle avant d’essayer celle confiée à son coéquipier, Jochen Mass, et de la conserver durant toute la fin de semaine.
Le coéquipier d’Andretti, Gunnar Nilsson, s’est qualifié au 14e rang à bord de la seconde Lotus 78 non pas noire, mais rouge vin arborant les logos d’Imperial Tobacco, une marque du même groupe que JPS. Il faut le souligner : c’est une des très rares fois que deux monoplaces de la même écurie de F1 ont roulé avec des décorations et des commanditaires différents.
Énorme accident pour Gilles Villeneuve
Si une pluie torrentielle a noyé la piste lors de la course de l’an dernier, ce qui avait provoqué l’abandon hâtif de Lauda et ainsi grandement aidé Hunt dans sa course au titre mondial, cette fois il fait beau et le ciel est parfaitement dégagé.
Le départ est retardé, car des spectateurs se sont faufilés dans des zones interdites. Si les services policiers leur font quitter les lieux, certains inconscients reviennent un peu plus tard. Ceci aura de graves conséquences plus tard durant le déroulement de la course.
Au feu vert, Andretti noie son Cosworth et ne parvient pas à démarrer correctement. Il est doublé par tous les côtés, ce qui permet à Hunt et à Scheckter de prendre les premières places. Andretti, fort énervé, s’accroche ensuite avec la Ligier de Jacques Laffite en tentant de le doubler. Abandon pour Andretti.
Hunt est en tête et bien décidé à terminer cette saison en peu décevante de belle façon. Au sixième tour, Villeneuve tente de doubler la Tyrrell de Ronnie Peterson. Il rate son freinage et sa Ferrari est catapultée dans les airs et s’écrase en tonneaux dans une zone interdite au public, mais bondée de spectateurs. Un photographe amateur et un commissaire de piste sont fauchés par la Ferrari en perdition. Villeneuve n’est pas blessé, mais constate rapidement qu’il ne peut rien faire et quitte immédiatement les lieux.
Hunt poursuit sa marche triomphale. Ni Scheckter, ni Mass ne peuvent l’inquiéter. Laffite, malgré son contact de début d’épreuve avec la Lotus d’Andretti, effectue une magnifique remontée et se place en deuxième position. Toutefois, le Français doit ralentir, car son réservoir d’essence est presque vide. Il tombera en panne d’essence avec un tour à parcourir.
Hunt récolte la victoire, facilement acquise. Il termine la course de 73 tours avec une avance titanesque de 1’02” sur Carlos Reutemann (Ferrari) et Patrick Depailler sur une Tyrrell P34 à six roues.
La cérémonie du podium tourne à la farce. Seul Depailler est présent. Reutemann est allé s’informé de l’état de santé de Villeneuve, comprendre les causes de l’accident et du décès des deux spectateurs. Hunt refuse de grimper sur le podium en signe de désapprobation. Il aurait demandé une escorte spéciale pour se rendre rapidement à l’aéroport, ce que l’organisation lui aurait refusée. Pour le public et les officiels japonais, son geste est une insulte. Mais Hunt ne s’en préoccupe pas ; il a toujours fait ce qu’il voulait.