Chers lecteurs, je commence aujourd’hui une série de textes qui nous ramènent dans le passé et vous relate de bons moments du sport automobile. Depuis mes débuts comme journaliste au magazine bilingue Formula en 1986, j’ai assisté à des centaines de courses d’une multitude de catégories un peu partout sur le globe.
Chaque article de cette nouvelle rubrique exclusive à poleposition.ca traitera d’un événement marquant tout en montrant les accréditations employées à ce moment, souvent de simples cartons avec un nom écrit au stylo dessus !
Comme premier texte, nous allons en France en 1990 assister à ce qui sera en fait la dernière course du Québécois Stéphane Proulx en Championnat international de Formule 3000. C’était la première fois que le cigarettier Player’s soutenait financièrement un pilote. Proulx, champion canadien de Formule 2000, avait été choisi pour aller en Europe courir en Formule 3000 (sortes de F1 propulsées par des moteurs V8 d’environ 475 chevaux). Après une saison 1989 compliquée, Proulx a poursuivi en F3000 en 1990, mais n’a accumulé qu’une longue série d’abandons mécaniques.
Je choisis d’assister à la dernière manche de la saison, présentée le 7 octobre sur le circuit de Nogaro dans les Gers, pays du foie gras d’oie et de canard. J'intéresse Bertrand Godin, alors pilote de F125 en karting, de m’accompagner. C’est une occasion d’encourager Proulx et pour Godin d’établir des contacts avec des gens influents pour éventuellement courir en monoplace en Europe en 1991.
Arrivés à Paris sur le vol d’Air Canada, je lui fais rapidement visiter quelques coins de la Ville Lumière avant de filer vers la gare Paris-Austerlitz pour prendre le train-couchette "La palombe bleue" de la SNCF qui nous amène, de nuit, à Tarbes.
Un très bon ami à moi nous récupère à la gare et nous annonce qu’à cette date, pas un hôtel n’est ouvert, mais qu'il a un Plan B. Nous serons logés à l’hôtel/café/restaurant "Maurette" à Lannemezan. La patronne nous confie alors non seulement la clé de notre chambre, mais aussi celle de la porte d’entrée de l’hôtel. Oui, l’hôtel est bien fermé, et nous serons les seuls clients ! Le tarif était de 486 francs français pour trois nuits avec les petits déjeuners, soit 104$ canadiens à l’époque.
Vendredi matin, nous filons à bord d’une petite voiture de location vers le circuit Paul-Armagnac de Nogaro, dirigé par le volcanique, voire colérique, André Diviès. Outre la F3000, il y a aussi des manches de Formule Ford, Formule Renault, Supertourisme et de la Coupe Renault 5.
Petite délégation du Québec à Nogaro !
À notre grand étonnement, nous rencontrons des Québécois dans le paddock ! Alonzo Maltais, un officiel du sport automobile québécois, et le carrossier Francis Cardolle, natif de Mont-de-Marsan, pas très loin de Nogaro, sont eux aussi venus en touristes soutenir Proulx ! Je présente Godin à Bertrand Decoster qui a fondé Mygale et qui construit des monoplaces de Formule Ford. Godin rencontre aussi des gens de la pétrolière Elf, des journalistes et des gens du milieu.
La F3000 est le vivier de la Formule 1. Les jeunes pilotes qui s’y affrontent sont les Érik Comas, Eddie Irvine, Karl Wendlinger, Heinz-Harald Frentzen, Damon Hill, Éric van de Poele, Allan McNish ainsi que Proulx et un autre Québécois très en vue, Claude Bourbonnais, à qui Player’s a offert de participer à deux courses en fin de saison.
Le week-end de Claude tourne toutefois très court quand il encastre sa Lola T90 bleue dans le mur de pneus d’un virage pourtant pas très rapide. Mais le nez de la monoplace est passé sous les pneus et le choc a endommagé la coque en carbone. Je récupère discrètement une dérive de l’aileron avant, coincée sous les pneus. Claude est de grande taille. « Je chausse du 11. Ma bottine s’est coincée dans le haut du pédalier et je ne suis pas arrivé à freiner correctement » me raconte-t-il, dépité. Fin du week-end pour Claude.
Samedi matin, en nous rendant au circuit par les petites routes secondaires, notre Citroën de location glisse sur du diesel répandu dans un virage. J’ai le réflexe de conserver le volant tourné afin que les pneus se nettoient dès qu’ils toucheront au tarmac sec. Ouf ! Ça a fonctionné !
Pendant que Godin rencontre d’autres personnes qui pourraient l’aider la saison suivante, je discute avec le jeune prodige du sport auto français, Emmanuel Collard. Ce dernier a été sacré champion du monde de Formule A de karting à 18 ans et plusieurs voient en lui le futur Alain Prost. À Nogaro, il décroche le titre de champion de Formule Renault et vient d’être recruté comme pilote d’essais par l’écurie de F1 Ligier. Je ne tire pas grand-chose de l’entrevue, car "Manu" n’est vraiment pas bavard et se contente de répondre par oui et par non. Impossible pour moi d’en faire un texte valable…
En qualification, Proulx obtient le cinquième temps, ce qui l’encourage pour la course. Le midi, je suis invité à prendre le lunch chez Elf. Au menu : magret de canard de la région. La vie de reporter était bien agréable à cette époque !
Dimanche, le Belge Éric van de Poele gagne la course de F3000. Proulx termine au septième rang et est tout étonné de constater que cette fois rien n'a cassé sur sa monoplace. Une fois la journée terminée, Godin et moi rendons la voiture de location et filons à la gare pour prendre à nouveau de train en direction de Paris.
L’année suivante, Godin s'est classé deuxième au prestigieux Volant Elf tenu au circuit Paul-Ricard en France. Mais cela ne lui a pas donné de volant. Mais grâce à ses contacts, il a ensuite participé au Volant Mygale Maxauto au circuit de Linas-Montlhéry où il a cette fois gagné le concours et remporté une saison complète en Championnat de France de Formule Ford. Et donné à Mygale sa toute première victoire. Quant à Stéphane Proulx, sa carrière en F3000 a hélas pris fin au terme de cette saison 1990. Il est revenu au Canada courir en F2000, puis en Formule Atlantique jusqu'à son grave accident à Phoenix. Quant à van de Poele, il a disputé cinq Grands Prix avec les écuries Modena, Brabham et Fondmetal. Emmanuel Collard n'est pas monté en F1, mais a connu un certain succès aux 24 Heures du Mans avec l'écurie Pescarolo.
Notez enfin sur la photo ci-dessus les passes d’accréditations en vulgaire carton avec des coins détachables… C’était vraiment une autre époque !