L’écurie Red Bull domine la F1 depuis le début de la saison 2022, et de manière écrasante cette année, grâce principalement à des éléments clés : le pilotage irréprochable de Max Verstappen, l’aérodynamique géniale d’Adrian Newey dans la conception de la monoplace, le moteur Red Bull Powertrains Technology (né Honda), la gestion impeccable des ressources humaines et techniques de Christian Horner et Helmut Marko, et le financement inépuisable de Red Bull.
Dans l’état actuel des choses, on peut s’attendre à ce que cette domination se poursuive jusqu’à la fin de la réglementation actuelle, en 2025. Le nouveau moteur imposé par les organisateurs de la F1 à compter de la saison 2026 viendra augmenter la charge de travail des équipes et des manufacturiers engagés, qui seront au nombre de 6 et non plus 4 : Mercedes, Ferrari, Renault (via son équipe Alpine et vraisemblablement avec l’entité Andretti Global, liée à Cadillac mais qui prévoit acheter ses moteurs de Renault), Audi (rachat de l’actuelle écurie Sauber), Honda (avec Aston Martin) et… Ford, qui sera le partenaire de Red Bull.
Le moteur 2026, basé sur le V6 actuel, devra utiliser deux turbos, être nourri d'un biocarburant et faire appel à des composantes hybrides plus standardisées qu’actuellement. Le moteur électrique passera de 160 aujourd’hui à une équivalence maximale de 470 chevaux. Le carburant sera composé à 100% de résidus hors pétrole issus d’une usine de recyclage, de déchets urbains, et de carbone capturé (recyclé). Aucun dioxyde de carbone ne sera donc ajouté à l’atmosphère par le moteur.
La nouvelle réglementation vise à soutenir les quatre principaux objectifs à long terme de la Formule 1 :
- Préserver la qualité du spectacle : le moteur à combustion interne 2026 aura des performances similaires à celles des modèles actuels, en utilisant des moteurs à combustion interne à haut régime et en évitant une baisse excessive des performances pour permettre d'améliorer le spectacle en course.
- Durabilité environnementale : l'unité de puissance 2026 comprendra une augmentation du déploiement de l'énergie électrique jusqu'à 50% et utilisera un carburant 100% durable.
- Viabilité financière : les règlements financiers concernant les groupes motopropulseurs réduiront les coûts globaux pour les concurrents tout en conservant la vitrine technologique de pointe qui est au cœur de la Formule 1.
- Attractivité pour les nouveaux fabricants de groupes motopropulseurs : le règlement vise à permettre aux nouveaux venus de rejoindre le sport à un niveau compétitif et à les inciter à le faire. Attention toutefois que la porte à de nouvelles équipes sera le plus possible toujours… ouverte par la FIA qui souhaite voir 24 monoplaces en piste, et fermée par les équipes actuelles de F1 !
Ce nouveau moteur présente un dilemme pour l’équipe Red Bull : travailler au sein de l’entité RBPT avec le moteur actuel qui reçoit encore largement la commandite de Honda tout en développant, avec l’argent de Ford, le moteur des saisons 2026 et au-delà. Le problème n’est pas tant de faire travailler des équipes séparées à l’interne mais d’éviter que les yeux de Honda ne soient trop présents, sachant que ce manufacturier sera associé avec l’équipe Aston Martin de Lawrence Stroll, qui est aujourd’hui l’une des 3 seules équipes à pouvoir espérer gagner en F1 - avec Fernando Alonso du moins - en cas de défaillance de Red Bull !
En officialisant début 2023 son union avec Ford, sous le nom de Oracle Red Bull Racing – Ford Performance, l’équipe de Christian Horner va devoir travailler non plus à faire gagner un moteur (Honda) déjà développé mais à concevoir de A à Z un nouveau moteur pour ses deux monoplaces et celles de l’équipe-sœur, AlphaTauri. La tâche est plus complexe mais la structure RBPT a démontré tout son savoir ces dernières saisons.
On peut donc dire que, sur papier, le potentiel du nouveau partenariat fait presque peur. On connait l’efficacité de l’équipe Red Bull et de RBPT tandis que Ford entend réussir son retour en F1 en misant sur l’image de moteurs plus écologiques et efficaces pour tous ses produits commerciaux. Au passage, on notera que l’écurie Red Bull Racing est aujourd’hui l’héritière de l’ancienne Stewart F1 puis Jaguar Racing, des entités autrefois largement financées par… Ford !
Pour le manufacturier américain, passer par la F1 permet de mieux définir et quantifier ses objectifs en termes d’image, en plus de réaliser des économies d’échelle côté budgets de développement en passant par RBPT. Certes le chèque est gros, très gros, mais les connaissances de RBPT et Red Bull Racing sont aujourd’hui équivalentes aux bureaux d’études des plus grands manufacturiers. Ford s’est donc acheté l’assurance de revenir en F1 et être d’emblée un candidat à la victoire, un objectif qui n’avait pas été atteint avec ses deux précédentes tentatives (l’écurie de Carl Haas dans les années 1980 puis Stewart).
La contribution attendue d'Oracle est tout aussi vitale. Cette grande maison produit une suite de grandes applications informatiques utilisées par toutes les grandes entreprises : gestion des ressources humaines, paye, pensions, saisie et gestion des commandes, production, achats et grande logistique, gestion des établissements, comptabilité et finance, budgets et suivis par Ford pour optimiser le développement de nouveaux produits, la R&D, les usines et la logistique au niveau mondial.
Ford travaille aussi à développer l’électronique embarquée dans ses véhicules à l’aide d’outils de développement accéléré. Un autre avantage est moins connu : travailler avec les outils de développement informatique et réseautique produits par Oracle aidera à mieux gérer le projet. Au cours de la première année d’utilisation optimale de ces outils, Ford a pu passer de 30 000 à 40 000 simulations évoluées, calculées 10% plus rapidement qu’avec les anciens outils.
Le partenariat semble basé sur du solide, deux ans et demi avant même les premiers tours de piste de la monoplace 2026 ! Absent de la F1 depuis 21 ans, et actif en course depuis ses débuts en 1901, Ford a une tradition de succès en F1. Le premier patron Henri aimait la course, et croyait fermement au dicton : « Gagner le dimanche, vendre le lundi ».
Pour la petite histoire, rappelons qu’en 1896, Henry Ford atteint une vitesse record de 20 milles par heure au volant de sa toute première voiture, le quadricycle. Cinq ans plus tard, en 1901, le même Henry Ford bat Alexander Winton, un coureur et constructeur automobile accompli de l'époque, dans une course de 10 tours au Detroit Driving Club de Grosse Pointe, dans le Michigan. En 1902, la Ford 999, pilotée par Barney Oldfield, bat à nouveau Winton. La Ford Motor Company est alors lancée, grâce à la publicité de la course et au soutien financier qui en découle.
Les années 1930 ont été marquées par d'importants développements pour les courses automobiles chez Ford : en 1931, le moteur V8 Flathead entre en production de masse. Simple, par cher à fabriquer, performant et fiable, le Flathead continuera à équiper les voitures neuves jusqu'en 1953. En 1967, Ford a remporté sa première victoire en F1 en tant que motoriste, lorsque Jim Clark a remporté le Grand Prix des Pays-Bas au volant d'une Lotus équipée du moteur Ford Cosworth DFV. Lors de sa fin de vie en 1993, le DFV avait remporté 175 victoires en Grand Prix.
Bien sûr, la "mayonnaise" pourrait ne pas prendre et 2026 pourrait marquer l’arrêt de la domination Red Bull Racing en F1. Mais les rumeurs circulant autour de RBPT mentionnent que le futur moteur Ford F1 2026 est plutôt en avance dans son développement ! Mercedes, Ferrari, Audi, Renault et Honda ont donc tout intérêt à réussir parfaitement la transition vers la nouvelle réglementation s’ils veulent inverser la tendance actuelle. Reste la grande question : la F1 tentera-t-elle encore Max Verstappen si, au soir de la saison 2025, il est auréolé de 5 titres mondiaux consécutifs ? Si l’on en croit ses déclarations à ce sujet, c’est loin d’être certain. Or Red Bull sans Verstappen, ce n’est plus tout à fait la même machine à gagner. La saison actuelle en est la plus belle preuve…