Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Le décès de François Castaing marque la disparition d’un pionnier du moteur turbo en F1

Le décès de François Castaing marque la disparition d’un pionnier du moteur turbo en F1

Mardi 15 août 2023 par René Fagnan
Crédit photo: Archives François Castaing

Crédit photo: Archives François Castaing

L’ingénieur français François Castaing nous a quitté le 26 juillet dernier dans sa résidence de Scottsdale en Arizona. Si ce nom vous est inconnu, sachez qu’il faisait partie de la petite équipe qui a fait triompher le moteur turbo en Formule 1 en 1979. Né le 18 mars 1945 à Marseille, Castaing était diplômé de l’École national supérieure d’arts et de métiers. Peu connu du grand public, il a pourtant été l’un des principaux acteurs de la venue de Renault en F1 avec le premier moteur turbo moderne.

Après la F1, il a traversé l’Atlantique et a œuvré chez American Motors (alors un partenaire de Renault) et Chrysler, où il a été vice-président directeur de la conception de véhicules comme le Jeep Grand Cherokee, le PT Cruiser et la Dodge Viper.

Lors d’une interview exclusive qu’il m’a accordée en 2007, Castaing m’a raconté certaines anecdotes du développement fort complexe du moteur V6 turbo Renault au début des années 70. À cette époque, personne ne croyait aux chances de voir un petit moteur turbo de 1500cc battre les moteurs atmosphériques de trois litres. Personne, sauf la petite équipe technique de Renault Sport. « On s’est jeté dans ce projet sans réfléchir. Nous étions jeunes, même pas 30 ans, et nous n’avions peur de rien ! » s’était-il exclamé.

« Renault était d’accord, car le projet turbo était différent de ce qui se faisait à l’époque. Et sur le plan médiatique, c’était fabuleux. Nous étions enchantés de travailler sur quelque chose d’innovateur. Bernard Dudot, le chef motoriste, est allé faire un stage de quelques mois aux États-Unis pour apprendre la suralimentation dans les courses ovales USAC [IndyCar maintenant] » expliquait Castaing.

La pétrolière nationale Elf décide elle aussi de soutenir le projet. « Elf a clairement mis en évidence qu’il fallait fabriquer un premier moteur turbo et de l’installer dans une barquette d’endurance pour l’essayer. Elf nous a donné un coup de pouce pour faire fabriquer deux moteurs expérimentaux. On a assemblé un moteur qui avait une course très courte, et un autre de plus petit alésage et une course moyenne. On a essayé ces deux moteurs au banc et tout de suite on a obtenu 525 chevaux. On savait que les bons Cosworth faisaient 475 chevaux et que le Ferrari faisait environ 500 chevaux. On a donc boulonné un moteur dans un proto A442 d’endurance et nous sommes allés effectuer un essai en secret au circuit Paul-Ricard. Jean-Pierre Jabouille, notre pilote, a déclaré que l’arrivée de la puissance était comme un boulet de canon, car le temps de réponse était trop long ».

Castaing précise que lors des courses USAC disputées sur les ovales américains, un turbo fonctionnait bien, car le moteur n’était jamais en reprise. Il n’y avait pas de temps de réponse, car le moteur tournait à régime constant. C’était tout le contraire en F1 sur des circuits routiers.

Des essais décourageants

Un prototype de F1, l’A500, est fabriqué et essayé à Jarama en Espagne le 11 mai 1976. Jabouille est consterné, car le temps de réponse du turbo atteint jusqu’à quatre secondes en sortie de virage ! Quand le turbo se met à souffler, la puissance grimpe brutalement de 130 à 500 chevaux !

« Le premier turbocompresseur que nous avons employé était issu d’un moteur industriel de camion et non pas d’automobile. Garrett USA voulait bien nous donner des turbos, mais ne voulait pas les modifier. Avec l’aide de Garrett France, nous avons transformé les turbos, des hybrides en fait, en prenant des carters de petites turbines équipés de gros compresseurs. Plus tard, on s’est associé avec KKK et on a ensuite réalisé, comme Porsche d’ailleurs, que deux petits turbos marchaient beaucoup mieux qu’un gros. De plus, les turbos KKK étaient adaptés à la course, car ils avaient été fabriqués pour cela » soulignait Castaing.

Dès les premières courses, le V6 casse à répétition et la Renault traîne derrière elle un épais nuage de fumée blanche. « Il nous a fallu du temps pour comprendre et maîtriser le refroidissement des pistons, le contrôle de la combustion et la température de l’air compressé » racontait Castaing.

Le fabricant de pistons est venu à la rescousse de Renault. « Les ingénieurs de Mahle avaient des solutions techniques pour des gros pistons de moteurs diesel très suralimentés. Nous n’avions pourtant que des petits pistons qui ne faisaient que 90mm de diamètre. Un jour, on leur a demandé “connaissez-vous un moyen de refroidir les pistons ?”, et ils ont répondu “oui, il faut le demander à nos gars qui produisent les gros pistons de diesel”. C’est comme ça qu’on a découvert qu’on pouvait faire circuler de l’huile derrière les segments, ce qui aidé à stabiliser les problèmes d’écrasement des gorges de segments qui faisaient casser nos moteurs. »

Petit à petit, le V6 est devenu plus fiable et l’arrivée de châssis RS10 a permis à Jabouille de faire triompher la Renault pour la première fois sur le circuit de Dijon-Prenois à l’occasion du Grand Prix de France le 1er juillet 1979.

« On a travaillé très fort avec Jean-Pierre Boudy, Bernard Dudot et une bonne équipe, sept jours sur sept, 365 jours par année. Et ça a marché. On faisait tout - notre châssis, notre moteur, nos suspensions et nos boîtes de vitesses - et on faisait courir la voiture ! Renault Sport n’employait que de 150 personnes à l’époque et notre budget annuel était d’environ trois ou quatre millions de dollars ! L’équipe était nouvelle, Jabouille n’avait jamais couru en F1, nous ne connaissions pas les circuits, et nous avions des pneus radiaux et la suralimentation. C’était un peu comme découvrir l’Amérique sans boussole ! »

Il avait terminé en disant : Nous avons démarré en F1 en juillet 1977 et nous avons décroché notre première victoire à Dijon en 79, juste 24 mois après. Aujourd’hui [en 2007], il y a des écuries qui sont en F1 depuis des années et qui n’ont jamais gagné un Grand Prix. Notre équipe de jeunes a réussi en F1 et j’en suis fier ! »


Discussions autour de la maquette du châssis de la RS01 en décembre 1976. Sur la photo ci-dessous, on note, de gauche à droite en arrière-plan, François Castaing, Jean-Pierre Jabouille, André de Cortanze , Jean-Claude Guénard et Marcel Hubert.

Crédit photo: Renault Communication - Droits réservés