À la suite de mon article technique qui expliquait ce qu’est l’effet de sol en sport automobile, voici un complément qui décrit pourquoi les ingénieurs de Formule 1 des années 70 et début 80 ont dû munir les monoplaces de jupes, d’abord fixes, puis coulissantes.
Durant les essais effectués en soufflerie lors de la conception de la Lotus 78, l’aérodynamicien du Team Lotus, Peter Wright, a réalisé que l’effet de sol généré par les tunnels venturi logés dans les pontons devenait beaucoup plus puissant si les bords étaient obstrués. Il fallait donc trouver un moyen de sceller le bord inférieur des pontons avec une cloison afin de l’air qui circulait dans les tunnels venturi ne s’échappe pas.
La première solution testée fut celle de brosses verticales courant le long des pontons. Incapables d’empêcher l’air de s’échapper, ces brosses furent vite abandonnées. Wright fit ensuite l’essai de bandes en polypropylène fixées au bas des pontons et incurvées vers l’intérieur. Elles avaient la fâcheuse tendance d’être aspirées vers l’intérieur des tunnels et de se soulever, permettant à l’air de s’échapper. Exit ces jupes.
Wright a ensuite dû consacrer tout son temps à la conception de jupes vraiment efficaces. Il a fabriqué un banc d’essai dynamique fixé à l’arrière de la Renault 4L de livraison de l’écurie. En regardant par les vitres arrière, l’ingénieur pouvait constater le fonctionnement des jupes - des longues plaques en fibre de carbone rigides - qui raclaient l’asphalte.
Première constatation : les jupes s’usaient beaucoup trop rapidement. Faire racler par terre ces plaques causaient évidemment énormément de friction. Le carbone ne résistait pas à ce mauvais traitement, surtout quand la petite Renault négociait des virages, ce qui induisait encore plus de frottements sur l’asphalte. Il manquait donc un ingrédient essentiel : des patins de friction.
Wright avait conçu un mécanisme à charnières maintenu sous pression par une languette en acier incurvée qui jouait le rôle ressort afin de maintenir la jupe en contact avec l’asphalte. Puis, un test fut effectué avec des patins en Teflon fixés au bas des jupes.
L’essai en piste réalisé sur le circuit de Snetterton par Gunnar Nilsson à bord d’une Lotus 78 fut concluant. Les chronos inscrits démontraient l’efficacité de ces jupes fixes désormais protégées par des nouveaux patins de friction réalisés dans une céramique ultra résistante.
De fixes à mobiles
La Lotus 78 a gagné cinq courses en 1977. Elle aurait pu récolter plus de victoires si les moteurs DFV expérimentaux mis à la disposition du Team Lotus par Cosworth n’avaient pas cassé à un rythme effarant.
Wright et les autres ingénieurs ont ensuite créé la Lotus 79. Elle était d’abord munie de jupes fixes durant ses essais de développement en début d’année 1978. Mais quand l’écurie canadienne Wolf a dévoilé sa WR5 munie de jupes coulissantes, Wright en fut étonné, car il était convaincu que la FIA les interdirait, car jugées comme des “artifices aérodynamiques mobiles”. Ce ne fut pas le cas.
Les jupes fixes de la Lotus 79 furent alors remplacées par des jupes coulissantes, insérées dans un caisson. Chaque jupe, faite de matériaux composites, bougeait de haut en bas, et était insérée entre deux plaques de polypropylène et guidée par des petits rouleaux pour éviter qu’elle ne coince. Des ressorts en acier poussaient les jupes vers le bas afin qu’elles demeurent en contact avec la piste autant que possible.
Il est évident que les directeurs techniques de plusieurs écuries rivales ont pris beaucoup de temps à réaliser l’immense avantage que procurait l’effet de sol et les jupes. Mais après les succès de la Lotus 79, toutes les écuries se sont mises à développer leur propre dispositif aérodynamique. Certaines ont connu du succès, comme Williams avec la FW07 et Ligier avec la JS11, mais plusieurs autres on'y sont pas parvenues.
Jusqu’à leur interdiction fin 1982, les jupes ont causé bien des soucis aux pilotes et aux écuries. Elles étaient très fragiles, cassaient dès qu’un pilote mettait une roue hors-piste, et avaient parfois la regrettable tendance de se coincer en position haute, ce qui éliminait d’un coup l’effet de sol et provoquait une sortie de piste. De plus, elles coûtaient une fortune à fabriquer et devaient être changées après chaque séance en piste.
Depuis leur interdiction, les voitures de F1 n’ont plus jamais porté de jupes.
L’expert britannique de la technologie en sport automobile Craig Scarborough nous a fourni l'illustration de cet article. Vous pouvez le suivre sur Twitter (ou X...) à @ScarbsTech.