La saison 1982 du Championnat du monde de Formule 1 fut terriblement agitée. Elle fut notamment marquée par la mort de Gilles Villeneuve et de Riccardo Paletti, l'accident de Didier Pironi et les terrifiantes sorties de pistes survenues à Jochen Mass en France et René Arnoux aux Pays-Bas.
Moins grave, il y a aussi eu cette controverse survenue à la fin du Grand Prix de France sur le circuit Paul-Ricard. Imaginez : deux pilotes français qui sont coéquipiers aux commandes de voitures françaises et qui se disputent la victoire devant leur public. Qui des deux devait gagner ?
L'écurie Renault est sous pression lorsqu'elle s'installe dans le paddock du tracé varois. Si les RE30B turbo sont rapides en qualifications, elles manquent singulièrement de fiabilité à cause d'une centrale électronique d'injection qui se dérègle trop facilement.
Si Alain Prost a gagné les deux premières courses de l'année, il a ensuite connu une série de pannes mécaniques. Son équipier, René Arnoux, a lui aussi été victime d’ennuis à son bolide, mais aussi de collisions diverses et il a été victime d’une très grosse sortie de piste à Zandvoort dans laquelle il n’a prodigieusement pas été blessé grièvement.
Prost figure alors au cinquième rang au classement des pilotes tandis qu'Arnoux est plus loin, en 16ème position. Renault doit redresser la barre, surtout à l'occasion de son Grand Prix national présenté devant une foule de 70 000 spectateurs.
Samedi après-midi, ce 24 juillet, les amateurs sont satisfaits de voir les deux Renault signer les meilleurs temps des qualifications et monopoliser la première ligne de départ. Arnoux a décroché la pole position devant Prost, puis suivent Riccardo Patrese sur Brabham BT50-BMW et Didier Pironi, le meneur au Championnat du monde, à bord de sa Ferrari 126 C2.
Tout le monde sait que les Brabham-BMW de Patrese et de Nelson Piquet vont prendre le départ de la course chaussées de pneus tendres et avec peu d’essence afin d'être très rapides, se sauver du peloton, s'arrêter pour ravitailler et terminer la course avec des pneus neufs et peu de carburant. On estime que les Brabham sont plus légères de 100 kilos que les Renault quand les voitures effectuent le tour de chauffe.
Le départ est donné et si Arnoux mène les deux premiers tours, il est vite doublé par Patrese. Au huitième tour, le turbo de la monoplace de Patrese casse et c'est l'abandon. Piquet prend le relais et quelques tours plus tard, c'est l'émoi chez les spectateurs.
Arnoux refuse d’obéir aux consignes
Un gros accident vient de se produire. Les voitures de Jochen Mass et de Mauro Baldi se sont touchées juste avant de négocier la courbe de Signes à 270 km/h. La March de Mass s'est retournée à l’envers et a défoncé les grillages à une vitesse folle pour terminer sa course dans un gradin ! Quelques spectateurs ont été blessés par des débris ou par le bref incendie qui s'est déclaré. Par une chance incroyable, Mass s’en sort indemne.
Au 24e tour, Piquet abandonne sur bris de piston. Arnoux se retrouve alors en tête, dix secondes devant Prost. Au 40ème passage, cet écart s'est accru à 20 secondes. Les deux Français sont en tête, le doublé est assuré. Le public est content. Mais pas l'état-major de l’écurie Renault dirigé par Gérard Larrousse. Ce dernier favorise clairement Prost dans la course au titre mondial et il veut le voir gagner. Dans les discussions d'avant-course, cela avait été très clairement établi. Si Arnoux est devant, il doit laisser passer son équipier, surtout si la victoire est en jeu.
Il reste 10 tours à couvrir et l'écart entre les deux est de 23 secondes. Larrousse fait passer un panneau à ses deux pilotes qui indique : 1. ALAIN 2. RENÉ. La consigne est claire : Arnoux doit se laisser doubler par Prost. Contre toute attente, Arnoux hausse le rythme. Prost aussi. L'écart entre les deux Renault se maintient donc à 23 secondes.
L'équipe montre le même panneau alors qu’il reste cinq tours, puis deux tours et un seul tour à parcourir. Mais rien ne change. Arnoux baisse le rythme durant sa dernière boucle, mais Prost est beaucoup trop loin derrière lui. Arnoux remporte la victoire, 17 secondes devant Prost et 42 secondes devant Pironi. Quatre Français se classent aux quatre premières places, le dernier étant Patrick Tambay.
Sur le podium, pas un sourire… Prost est en furie, on l'imagine. Il accuse Arnoux de ne pas avoir tenu parole. Il ajoute qu'il aurait dû s'en douter et qu'il ne collaborera plus jamais avec lui. « L'abcès est crevé. L'un de nous est de trop chez Renault... » déclare-t-il en colère.
Arnoux affirme qu'il connaissait des vibrations inquiétantes [provenant d'une jante arrière] et que sans elles, son avance aurait été encore plus importante. Il ajoute qu'avec une telle avance sur Prost, il ne pouvait tout simplement autant ralentir sans favoriser une menace de Pironi. « Moi aussi, j'ai droit à la victoire ! » clame-t-il. C'est après cette course que les pourparlers entre Arnoux et Ferrari se sont intensifiés, menant au recrutement du Grenoblois par la Scuderia pour la saison 1983.