Il est arrivé que des camions-ateliers d’écuries de Formule 1, NASCAR, IndyCar et autres séries subissent des dommages ou même prennent parfois feu sur la route. Mais ce qui est survenu au camion du Team Lotus en 1972 et ce qui est survenu par la suite est vraiment hors de l’ordinaire.

Nous sommes en 1972 et il ne reste que trois Grands Prix à disputer à la saison de Formule 1. Le Brésilien Emerson Fittipaldi vient tout juste de remporter la victoire en Autriche et a ainsi pris une confortable avance au championnat des pilotes. “Emmo” occupe la tête du classement avec 52 points et il est loin devant Jackie Stewart et Denny Hulme qui sont ex-aequo à 27 point et Jacky Ickx qui en a 25. Fittipaldi peut donc décrocher sa première couronne mondiale lors du Grand Prix d’Italie à Monza le 10 septembre.

Cependant, Colin Chapman et le Team Lotus sont toujours inquiétés par la justice italienne à la suite de l'accident mortel de Jochen Rindt survenu à Monza en 1970 car l’enquête, fort complexe, n’est toujours pas complétée. Le directeur sportif de l’écurie Lotus, Peter Warr, demande aux organisateurs une certaine assurance que les voitures ne seront pas saisies et que Colin Chapman ne sera pas arrêté par la police durant leur présence en sol italien.

Warr décide aussi de n’engager qu’une seule voiture, la Lotus 72/7 (connue aussi comme Lotus 72D) pour Fittipaldi, inscrite sous la bannière de World Wide Racing et non pas par le Team Lotus. L’écurie n’engage pas non plus son second pilote, Dave Walker. Le mulet, la 72/5, est expédiée dans le camion de l’équipe Lotus de Formule 2. Ce dernier est maintenant garé sur un parking à Chamonix, près du tunnel du Mont-Blanc.

Après un accident de la route survenu lors du déplacement entre l’Espagne et Monaco dans lequel le camion régulier AEC Swift du Team Lotus a été sévèrement endommagé, l’écurie britannique emploie un des vieux camions de marque Berford emprunté à Red Parnell. C’est dans ce camion que se trouve la Lotus 72D de Fittipaldi, en route vers le circuit de Monza en ce jeudi avant la course.

Un grave accident de la route

À environ 100 km de Milan, un pneu du camion explose et le conducteur, Stevie May, en perd de contrôle. Le camion se décale sur l’accotement mou et percute un petit vallon, ce qui arrache l’essieu avant et couche le camion sur le côté.

Un autre chauffeur alors passager, Steve Gooda traverse le pare-brise, se fracture une cheville et se coupe profondément une main. L’autre passager, Vic McCathy, n’a miraculeusement rien de grave.

Probablement mal amarrée, la Lotus de F1 a traversé le toit du camion fabriqué d’un plastique translucide afin de laisser passer la lumière naturelle. La Lotus amochée a atterri à l’envers dans un champ de poivrons. Toutes les pièces de rechange sont éparpillées au sol. Des amateurs italiens tentent d’accaparer ces pièces pour les conserver comme souvenirs, mais les deux chauffeurs non-blessés font tout en leur pouvoir pour les en empêcher jusqu’à l’arrivée de la police.

Le reste de l’équipe, déjà arrivé sur place à Monza, est informé de l’accident et s’assure que les mécanos blessés soient transportés à l’hôpital. Warr contacte le motoriste Novamotor pour qu’il envoie un camion récupérer la monoplace endommagée, les pièces détachées et amener le tout à Monza. Même Fittipaldi est mis à contribution, car Chapman lui demande d’aller chercher le camion contenant le mulet laissé sur le parking à Chamonix.

La Lotus 72D est en mauvais état, mais son châssis n’a heureusement pas été touché. Nous sommes jeudi en fin d’après-midi et les mécanos vont travailler durant de longues heures pour reconstruire la monoplace avec les pièces détachées.

Fittipaldi, qui est à un cheveu d’être couronné Champion du monde, se qualifie au sixième rang, ennuyé par un problème d’ouverture des guillotines d’admission du moteur Ford Cosworth DFV ; une conséquence probable de l’accident de la route. Après avoir songé à changer de moteur, l’équipe effectue une réparation qui donne satisfaction.

Dimanche, à seulement 35 minutes du départ, les mécanos découvrent une fuite à l’outre du réservoir d’essence ! Il faut vite déconnecter les pompes et les tuyaux, extraire l’outre, colmater la fuite, refaire les connexions et refaire le plein d’essence. À dix petites minutes du tour de chauffe, tout est réparé et Fittipaldi s’installe au volant.

Le Brésilien démarre correctement et roule en troisième position en début d’épreuve. Il rejoint le meneur, Jacky Ickx, et le double au 46e tour sur 55 pour prendre la commande de la course. Mais Fittipaldi est inquiet. Il ne sait pas avec certitude si la fuite a été bien réparée et s’il dispose d’assez de carburant pour se rendre à l’arrivée. Il freine tôt dans les virages et ne fait plus tourner son moteur au régime maximal.

Fittipaldi gagne la course et devient à 25 ans, huit mois et 29 jours le plus jeune Champion du monde de F1. Son record tiendra jusqu’en 2012 quand Sebastian Vettel abaissera cet âge de quatre mois.