Plusieurs écuries de course automobile, peu importe la catégorie, trichent habilement ou interprètent à leur façon certains articles du règlement technique. La ligne est terriblement mince entre contrevenir délibérément à un règlement et profiter d’une zone grise, d’un texte mal défini ou incorrectement rédigé. La Formule 1 n’y fait pas exception. Souvenons-nous du cas de l’aileron arrière double des Ferrari turbo de Gilles Villeneuve et Didier Pironi au Grand Prix de Long Beach en 1982.

Deux ans plus tard, un beau cas de tricherie ou d’interprétation astucieuse du règlement a entaché la saison 1984 de F1. Lors du Grand Prix des États-Unis à Détroit, le jeune Martin Brundle profite de l’abandon de 19 des 26 partants pour terminer la course en deuxième place à bord de sa petite Tyrrell 012 à moteur V8 Ford atmosphérique, à seulement 0,837” de Nelson Piquet et sa puissante Brabham BT53-BMW turbo.

Tandis que Brundle célèbre sa deuxième place sur le podium, sa Tyrrell est examinée par les inspecteurs techniques menés par Gabriele Cadringher de la FIA. Ils pèsent la monoplace qui affiche un poids qui est au-dessus du minimum de 540 kilos requis par le règlement. Pas de soucis.

Les experts inspectent aussi le réservoir d’une contenance de 13 litres qui est logé dans un ponton et qui est sensé servir à injecter de l’eau sous haute pression dans les cylindres d’admission du moteur afin de le refroidir. Le bidon ne contient pas de l’eau claire, mais un liquide foncé au fond duquel se trouvent des petites billes de plomb semblables à de la chevrotine. Cadringher prélève un échantillon du liquide ainsi qu’une poignée de billes. Le tout est envoyé pour analyse.

L’analyse chimique effectuée par la FIA sur l’échantillon d’eau démontre qu’il contient 27,5% d’hydrocarbures aromatiques, du diméthylformamide, un solvant courant. L’écurie Tyrrell fait alors procéder à sa propre analyse et les résultats révèlent que l’eau ne contient que 0,005% d’hydrocarbures. Tyrrell parle d'un échantillon souillé par un bidon d’essence qui aurait accidentellement servi à transvider l’eau dans la voiture.

Les billes maintenant. Tyrrell argumente que ces billes sont en effet du ballast destiné à alourdir la voiture afin qu’elle respecte le poids minimum. Cependant, le règlement exige que le ballast soit solidement arrimé à la structure de la voiture et que des outils soient nécessaires pour l'installer et le retirer.

Une peine sévère

Le tribunal de la FIA porte les accusations suivantes contre l’écurie Tyrrell : ajout de carburant durant la course (ce qui est interdit), utilisation de durites d’essence non-conformes, utilisation d’un ballast non-fixé et présence illégale de deux trous dans le fond plat.

La sanction tombe peu avant le Grand Prix des Pays-Bas : l’écurie Tyrrell et ses pilotes, Martin Brundle et Stefan Bellof, sont exclus du Championnat du monde des constructeurs et des pilotes.

La FIA et ses experts soupçonnent les Tyrrell-Ford de prendre le départ des courses sous le poids minimum (on parle de 455 kilos) et avec son réservoir de 13 litres rempli d’un d’hydrocarbure comme du nitrométhane. Lors d’un arrêt aux puits durant la course, les mécanos injectent de l’eau - et des billes de plomb - sous pression dans le réservoir, ce qui lave toute trace de nitrométhane dans le bidon tout en le remplissant de plomb afin de passer avec succès l’inspection technique d’après course. Le surplus d’eau injecté dans le bidon s’échappe par les deux orifices. L’arrêt aux puits ajouterait 85 kilos d’eau et de billes de plomb aux voitures.

La question se pose : Ken Tyrrell a-t-il triché ou a-t-il été victime d’un règlement de compte ? En 1984, Tyrrell est le seul utilisateur d’un moteur atmosphérique, le Cosworth DFY, beaucoup moins puissant que les turbos de tous les autres concurrents. Pour Tyrrell, courir sous le poids légal durant une bonne partie des Grands Prix serait la seule façon d’être compétitif, spécialement sur les circuits lents.

Toutefois, Ken Tyrrell dérange. Puisqu’il est coincé à employer un moteur atmosphérique, il est totalement opposé à l’adoption de la réglementation technique de 1985 qui permettrait de conserver des réservoirs d’essence de 220 litres. Tyrrell désire voir cette contenance réduite à 195 litres, ce qui défavoriserait les moteurs turbo, car devant nécessairement abaisser la pression de suralimentation.

Puisque Tyrrell est un membre de la commission technique de la FISA, son vote peut contrecarrer le désir de toutes les autres écuries. Mais de là à croire qu’on s’est habilement servi de l’affaire du réservoir d’eau pour se débarrasser d’un Ken Tyrrell fort gênant, il n’y a qu’un pas à franchir…

En l’absence de Tyrrell, le règlement 1985 a été voté et la capacité des réservoirs fut maintenue à 220 litres. Problème réglé.