Le pilote américain Parnelli Jones n’était qu’à 7,5 milles, soit 12 km, de la victoire aux 500 Milles d’Indianapolis de 1967, mais sa mécanique en a décidé autrement. Triste fin de course pour cette STP-Paxton orange propulsée par une turbine qui aurait ainsi marqué l’histoire du sport automobile américain.
Cette monoplace révolutionnaire, dont le développement avait été commandité par la compagnie STP d’Andy Granatelli, a totalement dominé cette édition de 1967 prévue mardi 30 mai.
Qualifié en sixième, Parnelli Jones démarre comme une fusée, double ses rivaux, incluant le détenteur de la pole position, Mario Andretti, avant de négocier le virage 2 et complète le premier tour en première place ! Après 18 tours de course, la course est arrêtée au drapeau rouge, car la pluie a commencé à tomber.
La course reprend le lendemain, et Jones repart en tête et continue sa domination. Au 52e tour, LeeRoy Yarbrough effectue un tête-à-queue au moment où Jones lui prend un tour. Les deux bolides se touchent et échouent dans le gazon. Jones revient toutefois rapidement en piste, toujours en tête.
À sept tours de la fin, Gordon Johncock effectue une pirouette en piste qui cause une neutralisation. Jones possède alors presqu’un tour d’avance sur son plus proche rival. Le vert est agité avec seulement trois tours à parcourir. Et c’est la catastrophe… Après avoir dominé durant 171 tours, Jones et la STP-Paxton entrent dans les puits au ralenti. Un roulement à billes de la transmission qui coûte six dollars vient de lâcher. La turbine n’actionne plus les roues… A.J. Foyt file vers la victoire.
Pourquoi employer un moteur quand on peut utiliser une turbine ?
C’est en fait un ingénieur de talent, Ken Wallis, qui a eu l’idée de cette voiture. Il a présenté son projet à quelques directeurs d’écuries, sceptiques, mais Granatelli fut séduit par ce bolide futuriste qui procurerait une publicité extraordinaire à STP. Vince Granatelli et son frère Joseph ont donc fait construire cette voiture en grand secret tout en s’assurant qu’elle respecte à la lettre la règlementation technique de l'USAC pour l’Indy 500. Le projet était si secret que seules les roues et la turbine provenaient de fournisseurs ; tout le reste a été fait maison.
La voiture était constituée d’une sorte de colonne vertébrale centrale faites de treillis de panneaux d’aluminium rivetés. Le pilote était assis dans un ponton situé d’un côté de cette voiture asymétrique, tandis que la turbine était située de l’autre côté. Le réservoir de carburant était logé au centre.
La turbine, utilisée habituellement par des hélicoptères ou des petits avions, était une ST6B-62 produite au Canada par Pratt & Whitney. Elle produisait 550 chevaux à l’arbre primaire à 6200 tours/minute.
Cette turbine actionnait l’arbre primaire relié à une transmission à quatre roues motrices Ferguson. La présence d’un convertisseur de couple éliminait le besoin d’un embrayage et d’une boîte de vitesses. La turbine tournait au ralenti à 54% de sa puissance maximale, ce qui signifie que le pilote n’avait même pas besoin d’appuyer sur l’accélérateur pour démarrer. Il ne faisait que relâcher les freins pneumatiques provenant d’une voiture Mercedes de série.
La STP-Paxton pesait 1750 livres (795 kilos), soit nettement au-dessus du poids minimum de 1350 livres (613 kilos) exigé par le règlement. Si elle était un peu lourde, elle était relativement agile et son système à rouage intégral lui procurait une adhérence stupéfiante. Le seul problème était le long temps de réponse de la turbine. Jones a indiqué qu’il y avait un délai de trois secondes entre le moment où il appuyait sur l’accélérateur et l’instant où la puissance arrivait enfin. Évidemment, la voiture était silencieuse ; seul un discret “wwwwwoushhhh” indiquait qu’elle venait de passer devant vous.
La domination qu’a exercée cette voiture peu conventionnelle à l’Indy 500 de 1967 a inquiété les responsables de l’USAC qui sanctionnent l’épreuve. Le règlement technique de 1969 fut vite modifié afin de restreindre dramatiquement la quantité d’air que pouvait avaler une telle turbine, la rendant ainsi nullement compétitive.
Le Team Lotus a fait rouler une autre voiture à turbine à l’Indy 500 de 1968 avant de tenter d’exploiter cette technologie en Formule 1, sans succès.