Le tracé utilisé au Mans offre un mélange d’un circuit permanent (le Bugatti, 4,185 km), lent et connecté à des routes nationales (départementales aujourd’hui) pour créer un tracé combiné de 13,6 km, le circuit des 24 Heures. Les records du tour dépassent les 250 km/h depuis de nombreuses années. Sur ce site, Cale Yarborough, triple champion NASCAR Cup, est un pilote recrue. Durant la réunion des pilotes le mercredi 9 juin 1981, il est assis calmement : les bras musclés croisés, chemise sport et jean, bottes de cow-boy et une grosse boucle de ceinture en argent massif et en or, sculptée à l’image du championnat NASCAR Winston Cup.
Certaines instructions sont inusitées pour lui : les plus lents doivent rouler à droite sur la célèbre ligne droite des Hunaudières. « Surveillez bien vos rétroviseurs, un drapeau jaune à bandes rouges signifie qu'il pleut quelque part sur le parcours. Le même drapeau jaune peut également signifier qu'il y a de l'huile ou du gravier sur le parcours. La vitesse maximum permise dans l’allée des puits est d’environ 80 km/h ».
La première séance d'essais débute dans quelques minutes. Cale attend patiemment, assis dans l’habitacle en métal nu de la Camaro. La voiture est dépourvue de tout confort et le tableau de bord est minimaliste : un tachymètre, trois jauges d'huile, des jauges d'eau, de pression et de température d’huile, de pression de carburant, et d'ampérage. L’habitacle se complète par un extincteur. Une voiture qui, « fera très bien l'affaire » lorsque Cale l’avait découverte. « Pas parfaite, mais ce n'est que pour 24 heures et tout le monde peut la supporter » avait-il alors ajouté !
Un officiel lit maintenant les noms des pilotes qui n'ont pas passé l'examen médical avant l’épreuve. Les commissaires commencent à s’énerver : pas d'examen physique, pas de course. Cale en fait partie mais son nom n’a pas été prononcé. « Il n'est pas là, votre nom ? » lui dit le médecin du circuit en tendant la liste au pilote américain. « Écrivez-le pour moi » dit-il avant de déchirer un petit bout de papier et le tendre à Cale qui se penche sur le bureau et imprime soigneusement son nom en lettres majuscules. « Très bien. Maintenant, le numéro, s'il vous plaît.» Il veut dire l'âge de Cale mais comme cela se fait régulièrement dans les paddocks de course, Cale Yarborough pense à sa voiture et écrit 35, le numéro de la Camaro ! « Merci. Ce sera tout » dit le médecin. Cale, alors âgé de 42 ans, déclarera par la suite : « C'est le meilleur examen médical que j'ai jamais eu. Cela me fait du bien de savoir que je suis en si bonne santé ! »
Le verdict de la piste
Pendant de nombreuses années, les pilotes n'avaient droit qu'à deux séances pour les essais et la qualification des 24 Heures du Mans, le mercredi et le jeudi soir, de 18h à minuit. Le problème de ce système est évident : le manque de temps pour qualifier plus de 150 pilotes sur 55 voitures, qui crée une pression en piste. Mais le trio de pilotes américaine reste calme : « Je dois me rappeler qu'il s'agit d'une balade, pas d'une course. L'essentiel, c'est de faire rouler cette Camaro pendant 24 heures » indique Cale.
Il embarque dans la voiture par la fenêtre gauche, à la manière d'un stock-car, bien que la Camaro soit équipée d'une portière fonctionnelle, règlementation du Mans oblige ! Le chef mécanicien Tex Powell se penche pour lui donner des instructions de dernière minute. Powell a travaillé avec certains des meilleurs pilotes du monde, Richard Petty et d'autres, et c'est lui qui a préparé la voiture dans son atelier d'Asheboro, en Caroline du Nord.
Avec le moteur bien monté en température, Powell estime que la Camaro atteindra au mieux quatre milles (6,4 km) au gallon US (3,8 litres), soit une consommation de deux gallons par tour. « Donne une petite pause au moteur en relâchant un peu l'accélérateur de temps en temps sur les lignes droites pour que le moteur puisse baisser un peu en température.» Cale acquiesce et enfile ses gants ignifuges. Puis il met le contact. Et soudain, un bruit qui ébranle : une forte toux suivie d'un énorme barrroooooom qui se répand partout. Dans les garages voisins, les mécaniciens et les pilotes se raidissent, momentanément alarmés, puis se tournent vers la Camaro.
Son premier tour aux essais prend 6 minutes et 33 secondes (les simulateurs de pilotage ne sont pas encore arrivés), le second 6’45. Cale déclare après sa session : « Ce foutu circuit est si long qu'après un premier tour, vous oubliez où aller au tour suivant ». Après quelques passages aux puits, on voit bien que Cale se lance. La vitesse augmente et ses tours suivants sont de 4’51, puis 4’21. Cela signifie qu'il atteint une moyenne de plus de 185 km/h et qu'il dépasse les 200 km/h sur la ligne droite des Hunaudières, longue de 6,2 km. Le tour suivant, la voiture arrive sur la ligne des puits et s'arrête brusquement.
On sent bien les courses d'antan : l'intérieur du cockpit est recouvert d'huile chaude, et le visage et les lunettes de Cale sont imprégnés d’huile et de poussière de plaquettes de frein. Lorsqu'il sourit, ses dents paraissent éclatantes. « Vous connaissez cette longue, longue ligne droite ? La partie qui est en fait la route nationale menant à la ville de Mulsanne ? Eh bien, il y a un hôtel le long de cette ligne droite avec une terrasse juste à côté du rail de sécurité. Les gens sont assis à de petites tables rondes sous de grands parasols. Vous passez à plus de 200 km/h, à quelques centimètres de leur nez, et ils portent un toast à votre santé. C'est vraiment quelque chose à vivre ! ».
La Chevrolet Camaro No.35 réalisera son meilleur tour en 3’59"57. Un temps signé aux qualifications par Cale Yarborough. Quant à ses équipiers, Bill Cooper a tourné en 4’01"70 et Billy Hagan en 4’19"77. Si Jacky Ickx a réalisé la pole position absolue en 3’29"44, Cale Yarborough a tout de même devancé les trois autres concurrents de sa catégorie, reléguant la Porsche 924 officielle à près de 5 secondes et les deux Mazda RX7 à 5 et 7 secondes. Parmi les non-qualifiés figure un certain Bobby Rahal… Pour quelqu’un qui ne connaissait rien du circuit 24 heures plus tôt, Cale a réalisé une magnifique performance mais il reste désormais à disputer ces 24 Heures du Mans 1981…
Demain sur poleposition.ca : Partie 4 - Comment cacher une fuite de carburant aux officiels ?
Pour la partie 1 (publiée mercredi) de cet article, cliquez ici; pour la partie 2 publiée hier, ici.