Dans un mois jour pour jour, les concurrents de l’édition 2023 des 24 Heures du Mans prendront le départ de cette édition qui marque le centenaire de la création de la plus importante coure d’Endurance au monde. Parmi les 62 équipages invités à participer, on retrouve le Hendrick Motorsports avec une voiture d’inspiration NASCAR Cup Next Gen, inscrite dans une catégorie spéciale (Garage 56). Un projet à visée médiatique et commerciale, voulu autant par NASCAR qui vise ainsi à démontrer à l’échelle internationale que les voitures de nouvelle génération sont polyvalentes que par les organisateurs des 24 Heures du Mans qui voient là l’occasion de faire rayonner leur épreuve aux États-Unis. Car si le monde de la course américaine reconnaît l’importance mondiale des 24 Heures du Mans par rapport à l’Indy 500 et le Daytona 500, le grand public nord-américain ignore encore grandement ce qu’est cette course.
Au fil du temps, Le Mans a pourtant attiré des pilotes vedettes venus d’Amérique du Nord, et quelques équipes, pour la plupart composées d’amateurs sérieux. L’une des plus mémorables aventures américaines au Mans est celle du triple champion de série NASCAR Cup Cale Yarborough qui, avec sa famille, décida de participer à l’épreuve en juin 1981, à bord d’une Camaro à saveur NASCAR.
Tout ne s’est pas passé comme prévu, loin de là mais cela reste un grand souvenir pour Yarborough et celui qui a mis sur pied le projet, le Louisianais Billy Hagan (1932 - 2007), qui fit fortune dans l’industrie du pétrole et prenait du plaisir comme propriétaire d’équipe en série NASCAR Grand National, le sommet à l'époque, et IMSA, de 1976 à 1994. Son équipe remporta d’ailleurs un doublé en 1984 avec le pilote Terry Labonte.
Billy aimait aussi piloter et participa deux fois aux 24 Heures du Mans sur une voiture de type IMSA GTO : en 1981 avec Cale Yarborough (nous allons vous reparler de leur aventure en piste !) puis en 1982 où Hagan termina 17ème avec le rapide et méconnu Gene Felton comme équipier. « Participer au Mans en 1981 m’a coûté environ 200 000 $US » dit un jour Hagan. « Comptez environ 60 000$ pour la voiture, 30 000$ pour les moteurs, et environ 60 000$ de frais pour l'équipe et la logistique : hôtels, repas et tout le reste. Avec un peu plus d'argent, j'aurais pu acheter une Porsche ou quelque chose de plus élégant. Mais je voulais que ce soit une opération entièrement américaine » expliquait le grand mordu des gros V8 bien en santé !
Aujourd’hui, ces coûts sont multipliés par 10, par voiture. Mais en 1981, les difficultés étaient ailleurs pour Hagan et sa troupe : « Cette année (1981), nous apprenons comment on fait au Mans » disait-il alors. « C'est délicat. La complexité du règlement et de la traduction tend à rendre les choses plus difficiles pour les étrangers. Je reviendrai ici l’année prochaine (1982), avec deux voitures et je vais les exploser ! Nous avons eu beaucoup de chance cette année avec Cale Yarborough comme premier pilote. Il fait toute la différence mais nous devons montrer à ces gens que nous sommes sérieux. Cale prête sa crédibilité au projet » ajoute Hagan.
Cale Yarborough, une force de la nature !
Hagan avait choisi Cale comme premier pilote car c’était alors un super héros en série NASCAR Cup avec trois titres consécutifs (1976 à 1978) et une personnalité toujours agréable hors de la voiture, tout en étant féroce en piste. Issus de Timonsville (Caroline du Sud), Cale et sa famille en étaient à leur première visite en France lors de leur arrivée à l’aéroport de Paris Orly, au matin du jeudi 9 juin 1981.
Ils forment alors un tableau classique de touristes néophytes dans un aéroport, un groupe qui tourbillonne autour de deux chariots à bagages surchargés. Il y a là les parents Cale et Betty Jo, et leurs trois filles, Julie, 18 ans, Kelley, 12 ans, et B.J, 10 ans. Les articles les plus visibles sur les chariots sont les sacs de vêtements rouges et blancs du championnat de la Coupe Winston.
Mais les choses démarrent mal. Au terme du vol de nuit depuis New York, PanAm a perdu la valise de Betty Jo. La petite B.J. doit aller aux toilettes, mais on lui reproche de parler à des étrangers. Les gens du coin ont l'air plutôt hostiles, ou du moins distants. Bill Brodrick, le responsable des relations publiques de l'équipe de course, avait promis de les rencontrer, mais il n'est pas venu. Il passe la journée à essayer d'arracher les pièces détachées de la voiture de course à la douane !
Cale est toutefois imperturbable, et même légèrement amusé par le spectacle. Il n'est jamais venu en France, mais il a vécu des situations plus difficiles. Triple champion NASCAR Cup, il a loué le plus simplement du monde une voiture auprès d'Avis, une familiale Peugeot, la plus grande voiture proposée, mais qui ne fait que les deux tiers de la taille de la NASCAR Grand National de Cale ! Il laisse donc Betty Jo et les filles surveiller les bagages et part à la recherche de la voiture dans le parc des véhicules de location sans la moindre aide du personnel de l’aéroport à qui il demande pourtant : « Comment aller au Mans ? ». » Allez vers le sud » lui répond l’employée d’Avis, alors que Le Mans est clairement à l’ouest de l’aéroport parisien.
L'ex-champion de stock-car se glisse donc au volant de la Peugeot. Il annonce à Betty Jo : « Tu lis et je conduis ». La famille Yarborough se rend tout de même sans difficulté au Mans où elle loge dans un magnifique château du XIIe siècle, à Vire-en-Champagne. Les propriétaires possèdent 600 hectares autour du château restauré à la perfection, leur propre chapelle et son donjon, et les meubles sont authentiques, chers et rares. La propriétaire semble toutefois peu disposée à recevoir des invités. Mais les édiles du Mans la persuadent d'accueillir de temps en temps une célébrité afin que les visiteurs puissent goûter pleinement à la France rurale.
Avec sang-froid, elle leur fait visiter le château, de toute sa hauteur, les mains croisées à la taille. De retour dans l'immense salle principale, Betty Jo regarde autour d'elle et dit : « il y a vraiment beaucoup de meubles de style provincial français ici, n'est-ce pas ? Elle se tourne vers une amie et ajoute : « Mais je suppose que c'est normal, non ? ». La propriétaire soupire et lève les yeux vers le ciel !
Tout cela n’est en fin de compte qu’un aperçu du dépaysement qui attend Cale Yarborough et ses proches durant ce séjour…
Demain sur poleposition.ca : Partie 2 - Le pari de la Camaro GTO…