Encore aujourd'hui, les amateurs de Formule 1 ont des opinions diamétralement opposées quant à savoir qui devait remporter la victoire cette journée-là, au Grand Prix de Saint-Marin 1982 à Imola. Il y a des pro-Villeneuve d’un côté et les pro-Pironi de l’autre et chaque clan demeure campé sur ses positions et ses explications. Revivons ce qui s'est passé le 25 avril 1982...
Lorsque la Scuderia Ferrari arrive dans le paddock du circuit d’Imola, l’atmosphère est tendue. Les deux 126C2 turbo de Villeneuve et de Pironi n’ont marqué qu’un seul petit point jusqu'ici, grâce au Français. Le paddock est presque vide, car les écuries de la FOCA, l’Association des constructeurs de Formule 1, sont restées à la maison. Elles boycottent la course en signe de protestation envers le déclassement pour poids non-conforme de la Brabham de Nelson Piquet et la Williams de Keke Rosberg au GP du Brésil. Seules les équipes Ferrari, Renault, Alfa Romeo, Tyrrell, Osella, Toleman et ATS sont présentes, soit 14 voitures seulement.
Les organisateurs de la course rencontrent les directeurs d’équipes et tout ce beau monde s’entend à présenter un spectacle en piste, pas une parade. On sait que les Renault sont encore mécaniquement fragiles et que les Ferrari sont gloutonnes en carburant. Pour elles, rallier l’arrivée en roulant à fond est à peu près impossible.
René Arnoux (Renault) signe la pole position en 1’29”765 devant son coéquipier Alain Prost (1’30”249) et les Ferrari de Villeneuve (1’30”717) et Pironi (1’32”020). Dimanche, les pilotes Ferrari discutent du déroulement de la course dans le camion de l'écurie en compagnie de Marco Piccinini, le directeur sportif de la Scuderia. Fait rare, Mauro Forghieri, le directeur technique, est absent.
La course démarre et au septième tour, Prost abandonne. Arnoux mène devant Villeneuve et au 22ème passage, l’action commence. Arnoux, Villeneuve et Pironi vont s’attaquer, se doubler et se redoubler à de nombreuses reprises. Les amateurs voulaient assister à un beau spectacle, ils sont comblés, même si les trois pilotes font quand même attention de ne pas s’accrocher.
Au 45ème tour sur 60, un turbo de la Renault d’Arnoux explose. Les deux Ferrari sont alors en tête avec Villeneuve devant Pironi. Le spectacle recommence et les deux se doublent à deux reprises lorsqu’au 50ème tour, l’équipe leur montre le panneau "Slow" leur ordonnant de baisser le rythme afin d’économiser du carburant. Trois boucles plus tard, Villeneuve glisse large dans un virage et Pironi le double. Le Québécois croit que son coéquipier désire offrir un beau spectacle aux tifosis.
Ils vont se doubler plusieurs fois au cours des cinq derniers tours, de plus en plus agressivement. Villeneuve mène le dernier tour quand Pironi le surprend et le double en dérapage - par l’extérieur - dans le rapide virage à droite avant Tosa et s’envole avec la victoire. Si Pironi jubile, Villeneuve est amèrement déçu.
Qui a raison ? Qui a tort ?
Les propos des deux protagonistes, rapportés par des journalistes, doivent être pris avec précaution. Car dans les médias, il y avait aussi les pro-Villeneuve et les pro-Pironi… Dans l’annuel "Autocourse 1982", Maurice Hamilton écrit que Pironi lui a déclaré "Je n’ai rien à me reprocher. [Enzo] Ferrari non plus, car il n’aurait pas manqué de me le faire savoir si j’avais mal agi".
Pironi confirme que lui, Villeneuve, Prost et Arnoux s’étaient entendus pour faire du spectacle durant la première moitié de la course. Puis, le spectacle cesserait et ce serait chacun pour soi. « Il se trouve que la première fois que le stand Ferrari nous a passé le panneau "Slow", c’est moi qui étais devant, et j’ai obéi. C’est juste après que Gilles a commis une faute de pilotage et là, il aurait presque fallu que je m’arrête pour ne pas le doubler et prendre la tête » précise Didier Pironi.
Le journaliste britannique Nigel Roebuck était très proche de Villeneuve. Dans Autocourse, il relate les propos du Québécois : « Le signal "Slow" signifie de conserver nos positions. Cela a été le cas depuis que je suis chez Ferrari. J’étais devant Pironi quand Arnoux a abandonné. J’ai commis une erreur et il m’a doublé. Je me suis dit qu’il voulait distraire le public. Mais il roulait vite. Je l’ai doublé et j’ai ralenti. J’ai tourné en 1’37, 1’38 pendant trois tours. Puis, il m’a de nouveau doublé et il a roulé en 1’35 !»
Villeneuve poursuit : « J’ai amorcé le dernier tour très lentement. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me double. Tout à coup, je l’ai vu me foncer dessus. Je ne l’ai pas bloqué. Je ne me suis jamais défendu. Les gens croient que nous nous sommes livrés le duel du siècle. Je me suis qualifié 1,5 seconde plus vite que lui et j’ai été devant lui durant presque toute la course. J’ai conduit les 15 derniers tours en touriste tandis que lui était en course ».
Précision : Gilles a raison quand il affirme qu’il était devant Didier quand le panneau "Slow" a été montré la première fois. Un fait confirmé par plusieurs journalistes et observateurs. En réalité, Villeneuve était surtout en colère contre lui d’avoir été berné de la sorte par Pironi. Tout cela a été un énorme gâchis et Villeneuve, révolté, n’a plus jamais parlé à son coéquipier et n’a plus eu confiance en son écurie.
Son destin fut tragiquement scellé à Zolder deux semaines plus tard.