Le Grand Prix du Canada de 1979 s’est résumé à un affrontement roues dans roues et mettant aux prises Gilles Villeneuve sur sa Ferrari et l’Australien Alan Jones au volant d’une Williams.
Gilles Villeneuve avait jusqu’alors remporté deux victoires et trois deuxièmes places tandis qu’Alan Jones, après un début de saison difficile, venait de décrocher trois victoires consécutives en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas. Si on ajoute à cela la victoire de Clay Regazzoni acquise en Grande-Bretagne, la Williams FW07-Ford venait de gagner quatre des cinq deniers Grands Prix !
En cette fin de septembre 1979, la “Fièvre Villeneuve” s’est emparée de Montréal et du Québec quand le cirque de la Formule 1 arrive au pays pour y disputer l’avant-dernier Grand Prix de la saison.
La petite et élégante Williams FW07 est fort à l’aise sur le circuit de l’Île Notre-Dame et c’est Jones qui signe la pole position en 1’29”892 devant la Ferrari 312 T4 de Villeneuve (1’30”554), l’autre Williams de Regazzoni (1’30”768) et la Brabham BT49-Ford de Nelson Piquet (1’30”775). En fait, la FW07 est une Lotus 79 revue et améliorée avec, entre autres, un châssis ultra rigide, des pontons qui ne se déforment pas sous l’effet de succion et des jupes coulissantes ultra efficaces.
Un duel de tous les instants
Villeneuve prend un excellent départ et mène la course devant Jones. L’écart qui les sépare est d’une seconde en ce début d’épreuve, mais il chute à une petite demi-seconde aux environs du vingtième passage. Au grand plaisir de la foule nombreuse, le Québécois roule devant l’Australien durant les 50 premiers tours de la course qui en compte 72.
À la fin du 50e tour, la Ferrari et la Williams arrivent l’une derrière l’autre au freinage de l’épingle du pont Jacques-Cartier. Jones déboite au dernier moment et place sa monture à l’intérieur du virage serré à droite. Les pneus des deux bolides se touchent légèrement, mais Jones, mieux placé, accélère plus tôt que son rival et lui vole la commande de la course.
Dans une interview accordée au superbe magazine français “Grand Prix”, Frank Dernie, ingénieur de piste de Jones chez Williams, raconte la stratégie employée à cette occasion par l’écurie britannique.
En l’absence de télémesure, les contrôles d’usure des plaquettes de freins et de consommation de carburant étaient effectués à la main, habituellement durant la séance de réchauffement tenue environ trois heures avant le départ. Dernier raconte que le circuit de l’Île Notre-Dame, fait de longues lignes droites entrecoupées de chicanes qui exigent des freinages violents, était très dur sur les voitures. “Nous n’avions aucune chance de terminer la course en roulant à fond de train durant toute la course” raconte Dernie.
“Si tu roules à fond, tu n’arriveras pas au bout de la course, car tu n’auras plus de freins ni d’essence” a-t-il dit à Jones. “Laisse filer Villeneuve sans lutter avec lui. On te fera signe quand ça sera le temps d’attaquer”.
Dernie avait calculé le rythme d’usure des plaquettes de freins et de la consommation de carburant. Vers la mi-course, sachant que Jones aurait économisé suffisamment sa voiture, il lui passerait le panneau “Pump Off”. [Ce panneau était normalement montré aux pilotes à la fin du premier tour de piste pour leur rappeler de couper la pompe à essence électrique puisque la pompe mécanique tournait assez vite pour bien alimenter le moteur].
Peu avant le 50e passage des voitures, Dernie fait montrer le fameux panneau à son pilote. Ce dernier passe alors à l’attaque au freinage de l’épingle et double la Ferrari, au grand désarroi des spectateurs. Les deux bolides se frottent un peu les roues, mais la Williams accélère plus tôt et prend la tête.
Jones s’éloigne progressivement de Villeneuve, faisant même grimper son avance à presque deux secondes. Le public rêve de voir son idole passer à l’attaque et doubler cette Williams blanche.
Lorsque la Lotus 79-Ford de Mario Andretti tombe en panne d’essence sur le circuit au 68e passage, Frank Williams s’inquiète que le même sort afflige Jones et demande à ses mécanos de préparer un bidon contenant quelques litres de carburant en vue d’un éventuel rapide arrêt de son pilote.
L’Australien au caractère grognon lève le pied et termine la course avec une avance de 1”080 sur Villeneuve et, tenez-vous bien, 1’13”656 sur Clay Regazzoni et un tour sur Jody Scheckter, le coéquipier de Villeneuve, ce qui prouve à quel point le duo de tête était nettement supérieur au reste du peloton.