Des voitures allemandes ont dominé les Grand Prix de 1934 à 1937, et une en particulier, la Auto Union Type C et son moteur V16 compressé qui est passé de 435 chevaux lors de sa première saison (1935) à plus de 600 à la fin de la saison 1937. Une telle augmentation d’efficacité, de 60 à 103 ch / litre, démontre le génie du Dr Ferdinand Porsche et de son fils, Ferdinand "Ferry" Porsche, qui a contribué à la création et au développement de ces voitures en course. Les avancées technologiques en métallurgie, combustion, aérodynamique de la carrosserie, moteur, suspensions et la dynamique de ces voitures ont tout simplement été impressionnantes.
En parallèle, le même noyau technique développait, sous les ordres de Hitler, la voiture destinée au peuple, la Volkswagen, dont les premiers prototypes créés de sa propre initiative par le Dr Porsche, roulaient déjà en 1932. La coccinelle fut produite à plus de 21 millions d’unités, de 1938 à 2002.
Mais commençons par la genèse du groupe Auto Union et des voitures de Grand Prix Type A, B et C qui ont couru durant les saisons 1934 à 1937. Dès sa confirmation comme Chancelier de l’Allemagne au début de 1933, Adolf Hitler fut approché par un groupe automobile mené par le Dr Ferdinand Porsche à la recherche de budget pour créer une voiture de Grand Prix qui démontrerait la supériorité technique de l’Allemagne.
Un tel projet exigeait des fonds considérables afin de dominer non seulement Mercedes-Benz, déjà en course depuis le début du 20ème siècle, mais aussi les Alfa Romeo, Bugatti, Maserati, Delage et ERA (anglaises) et autres menus fretins de l’époque. Hitler accepta la proposition, dont le but rentrait en plein dans son délire de supériorité de l’Allemagne et par ricochet de la race aryenne.
Pour sa part Mercedes-Benz, qui menait l’industrie automobile en Allemagne, voyait ainsi naître un concurrent financé par l’état. Leurs protestations forcèrent le régime allemand les aider eux aussi. Il en résulta la création à l'été 1932 de la société Auto Union AG, un amalgame de quatre entreprises : DKW (surnommée "Das KLeine Wunder" ou La petite merveille), Horch, Wanderer (disparues respectivement en 1966, 1939 et 1945) et Audi, fondée en 1909 et aujourd’hui une filiale du puissant groupe Volkswagen. Les quatre marques ont continué à vendre des voitures sous leurs propres noms, alors que le développement technologique relié à la course est devenu plus centralisé.
Vint ensuite la conception du moteur V16 et du châssis choisis par le Dr Porsche et son fils Ferry. Leur configuration reflète bien l’état d’avancement des connaissances en motorisation et dynamique telles qu'appliquées par Auto Union. Lors du début du projet en 1932, on savait déjà que : la puissance était proportionnelle au régime du moteur et à la surface totale des pistons. Plus de cylindres et plus de régime = plus de puissance. Mais aussi que la métallurgie (alliages, méthodes de fonte, solidité et légèreté) n’avait pas encore bénéficié des développements apportés durant la Seconde Guerre mondiale.
Les vibrations du moteur imposaient donc l’usage de contrepoids sur le vilebrequin. Les huit manetons sur le vilebrequin du V16 et la concentration du couple à une extrémité (celle du disque d'embrayage) limitaient le régime maximal du moteur V16 à 4500 tr/m sur la première version de 4,2 litres, puis à 6000 tr/m dans sa version finale de 6 litres en 1938.
L’évolution du moteur V16, de 1934 à 1937 est remarquable : sa première version Type A délivrait 291 ch à 4500 tr/m de ses 4.4 litres de déplacement, soit 66 ch / litre. La version Type C passera en 1937 à 6 litres et 620 ch à 5000 tr/m en 1937, donc à 103 ch / litre et une augmentation de l’efficacité thermique du moteur de 15%, due en partie à l’augmentation du régime maximal du moteur de 1937, et surtout à une meilleure métallurgie.
Comme référence, les moteurs à combustion interne de F1 d’aujourd’hui, les petits V6 de 1,6 litre délivrent environ 650 ch à 17 000 tr/m, ou 400 ch. /l., alors que plusieurs moteurs de voitures utilisées sur nos routes aujourd’hui produisent au-delà de 200 ch/l.
Côté suspensions, les concepts avant et arrière des Auto Union sont similaires à un autre projet ordonné par le régime d’Hitler : la voiture du peuple, l’inimitable coccinelle Volkswagen. Les deux voitures utilisent des suspensions similaires : courts bras longitudinaux et ressort par barre en torsion à l’avant (dite "Trailing Links") et demi-essieux qui pivotent sous le différentiel ou demi-arbres qui pivotent et se déplacent de haut bas à la sortie de la boîte (dite "Swing Axle") à l’arrière.
Le V16 Auto Union a remporté 4 des 25 Grands Prix courus de 1934 à 1937, alors que Mercedes-Benz en a remporté 12 grâce à plus de budget pour développer des voitures plus fiables, en plus d'inscrire jusqu'à quatre voitures par course. Auto Union inscrivait moins de voitures et disposait d’un plus petit budget, en plus d’ouvrir la marche technologique avec les premières voitures de course avec moteur central, la disposition encore utilisée aujourd’hui en Grand Prix.
La Seconde Guerre mondiale a hélas mis un frein à ces avancées technologiques mais les marques allemandes ont rapidement retrouvé leur créneau de marques aux avancées technologiques importantes une fois le conflit armé enfin terminé.
Pour l’anecdote (note de l’auteur) : Jusqu’à sa fin en 1966, la marque DKW vendait ses coupés à moteur trois cylindres/deux temps dans un petit magasin situé à l’angle sud-est des rues Barclay et Côte-des-Neiges, à Montréal. J’habitais près du magasin et m’y retrouvais souvent pour y admirer les voitures. Ma première voiture de course, une Elva Formule Junior (à moteur avant) achetée en 1963, disposait du tri-cylindre 2 temps DKW, rapide à ses heures mais avec un gros trou dans le piston central ! Nous l’avons remplacé par un moteur BMC Série A de 948cc qui délivrait entre 40 et 50 ch dans la Morris Minor et dans la première version de la Austin Healey Sprite, celle avec les yeux de grenouille.