Les moteurs à combustion interne à essence ou diesel rapide (limité à environ 2400 tr/min.) ont connu une évolution extraordinaire depuis leur acceptation comme technologie dominante pour les applications routières au tout début du 20ème siècle, au détriment de la vapeur ou de l’électricité.
Plusieurs moteurs de course ont marqué leur époque, notamment le Peugeot de 1912 et 13, l’Auto-Union V16 du début des années 30, le Mercedes W196 desmodromique de 1954, le Cosworth DFV de 1967 et ses variantes, les Ferrari V6 126BBC (Brown Boveri Comprex, et renommé 126CX) et refait avec un turbo KKK (la 126CK). Viendront ensuite la gamme Audi de V12 diesel rapide à bord des voitures d’endurance R10 TDI et leurs descendantes, ou encore le Mercedes AMG F1W09 EQ Power+ présentement utilisé en F1.
Commençons aujourd’hui par le plus ancien d’entre eux, le moteur de Grand Prix Peugeot des années 1912-13, qui a connu une carrière bien au-delà de ses exploits en compétition sous son nom d’origine puisqu’il fut utilisé par Offenhauser jusqu’en… 1983 !
Un vieux dicton nous enseigne qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Prenez par exemple la technologie bien connue des moteurs à combustion interne : Quatre soupapes par cylindre, doubles arbres à cames entrainés par engrenages, carter sec et la métallurgie avancée sont autant de facteurs associés aux développements lancés par le moteur Peugeot depuis 1912, stimulés en partie par les deux guerres mondiales et par l’évolution naturelle des technologies.
L’histoire relate que de deux ingénieurs, Gottlieb Daimler et son partenaire commercial de toujours, Wilhelm Maybach, travaillaient à rassembler les technologies des divers moteurs à combustion interne inventés depuis 1834 afin de les optimiser pour des véhicules roulants. En 1883, ils ont conçu un moteur à pétrole liquide à cylindres horizontaux et à charge comprimée qui répondait au désir de Daimler de disposer d'un moteur à grande vitesse pouvant contrôler le volume d’air dans l’admission (le papillon d’admission d’aujourd’hui).
En 1885, ils ont conçu une version à cylindres verticaux de ce moteur qu'ils ont ensuite monté sur un deux-roues, la première moto à combustion interne, baptisée Petroleum Reitwagen (Riding Car) et, l'année suivante, sur un autobus et un bateau.
Ce moteur a lancé l’industrie des véhicules routiers et précipité un boum dans le développement de cette technologie. Plus tard, au début du 20ème siècle, l’ampleur du marché combiné à l’intérêt suscité par la course automobile voit une pluie de développements accélérés par les avancements en fonderie et en métallurgie et l’urgence provoquée lors des deux guerres mondiales. Parmi les grands fabricants, Peugeot s’appliqua alors à créer un nouveau moteur avancé dans l’optique du Grand Prix de France 1912.
Les concepteurs, menés par Ernest Henri, ont su profiter des avantages des doubles arbres à cames en tête entraînée par un train d’engrenages, des quatre soupapes par cylindre et des chambres de combustion compactes, d'un allumage central simplifié et d’un bloc moteur et culasse d’un seul morceau relié à un carter en deux pièces. Le concepteur technique, Zuccarelli, dont émane cette conception, appréciait les vertus d'une chambre de combustion compacte, d'une grande surface effective des soupapes et des pistons, et de meilleurs ressorts pour les soupapes et sièges de soupapes.
Le moteur qui fut utilisé au Grand Prix automobile de France, les 25 et 26 juin 1912 (photo ci-dessous) sur le circuit non permanent de Dieppe long de 76,989 km (!), était d'une cylindrée de 7602 cm3 et était estimé à 140 chevaux à 2200 tr/min. La voiture, pilotée par Georges Boillot, remporta l’épreuve avec 13 minutes d'avance sur Louis Wagner (Fiat), arrivé deuxième au terme des 20 tours de course, représentant 13 hures et 58 minutes de course ! À noter que le moteur de la Fiat possédait plus de 14 000 cm3 (855 po3).
À partir de 1914, le succès du moteur change le dogme des concepteurs qui suivent. Il n'y a plus eu d'alternative efficace au double arbre à cames en tête, les rapports course/alésage ont été réduits, la surface des pistons et les vitesses de rotation augmentées, deux exigences fondamentales pour accroître les performances. De plus, la lubrification à carter sec permet un meilleur refroidissement (donc lubrification) avec une pressurisation de l'huile pour tous les roulements, en plus de permettre de rabaisser le moteur dans le châssis. Que des avantages pour la fiabilité et donc la course !
1918 - La suite : Harry Miller, Fred Offenhauser et les autres
Au début de la Première Guerre mondiale, les pilotes des quelques Peugeot qui avait traversé l'Atlantique, pour disputer notamment les 500 milles d’Indianapolis, ont eu du mal à trouver des pièces détachées. Les pilotes se sont alors tournés vers Harry Miller, un génie de la métallurgie, la fonderie et la fabrication de pièces complexes (comme des voitures et moteurs).
Avec l'aide de son machiniste génial, Fred Offenhauser, il a trouvé comment rendre les moteurs français plus fiables. Ses modifications comprenant le remplacement des pistons en fer par des unités en alliage léger, avant de se lancer dans la fabrication de moteurs complets basés sur le Peugeot de 1912.
Harry Miller produisit des pièces d’avion au cours de la Première Guerre mondiale. Le conflit terminé, le dernier membre du trio qui allait former le socle de la légendaire Miller/Offenhauser entre en scène, Leo Goosen. Ingénieur et dessinateur doué, Goossen apporte son expertise technique dans le calcul des contraintes, la conception des roulements et d'autres détails qui font défaut aux artisans géniaux que sont Miller et Offenhauser.
L’entreprise de Harry Miller fait toutefois faillite en 1933, et Fred Offenhauser s’en porte acquéreur. Il poursuit le développement et la fabrication du moteur sous le nom de Offenhauser, la première génération de ce moteur qui a couru avec succès jusque dans les années 1980, toujours crées par Frank Offebhauser jusqu'à sa mort en 1974.
En 1946, le nom Offenhauser et les droits du moteur ont été vendus à Louis Meyer et Dale Drake. C'est sous le nom commercial Meyer-Drake que le moteur a dominé les 500 milles d’Indianapolis 500. En 1965, Meyer a été racheté par Drake, qui a conçu et perfectionné les variantes du moteur (Indianapolis Atmo et Turbo, Midget, Sprint Car, bateau) jusqu'aux derniers jours de sa participation aux courses.
De 1934 aux années 1970, le moteur Offenhauser a dominé les courses américaines à roues ouvertes, remportant 27 fois l’Indy 500. De 1950 à 1960, les pilotes de voitures équipées d’un moteur Offenhauser ont remporté toutes les éditions des 500 milles d'Indianapolis et sont montés sur les trois marches du podium, en plus de récolter la pole position 10 fois en 11 années.
Des puissances supérieures à 1 000 chevaux pouvaient être atteintes en utilisant un turbo. Bobby Unser qualifia ainsi sa Eagle sur la pole à Phoenix au milieu des années 70 avec assez de puissance de la part de son moteur Offenhauser avec turbo pour faire patiner les roues arrière sur la totalité du tour !
La dernière victoire de cette mécanique a eu lieu à Trenton en 1978, dans la Wildcat de Gordon Johncock. L'arrivée des voitures à moteur central et du V8 à double arbre à cames de Ford a mis fin à cette série de victoires. Il faut dire que dès 1965, Jim Clark avait dominé l’Indy 500 dans sa Lotus 38 à moteur Ford V8, ouvrant ainsi la porte à un nouveau type de voiture et de motorisation plus moderne.
Quoi qu’il en soit, le moteur Peugeot et sa suite sous la déclinaison Miller/Offenhauser a vécu et gagné sous une forme ou une autre de sport automobile pendant plus de 50 ans et a dominé à Indianapolis pendant une grande partie de cette période.