Si vous étiez incroyablement courageux au début du vingtième siècle, vous pouviez tenter des choses terriblement audacieuses (et dangereuses), comme celle de vous lancer à toute vitesse sur une marmite à haute pression !
Au tout début de l’automobile, les moteurs à essence et à explosion interne ne sont pas encore très populaires et les ingénieurs de ce temps-là croient surtout en la puissance de la pression de la vapeur générée par de l’eau en ébullition.
Un de ces personnages de génie est l’Américain Louis S. Ross, né en 1877 à Newtonville au Massachusetts et employé chez Stanley Motor Carriage Company, une entreprise qui fabrique des voitures à vapeur et ses leurs composantes mécaniques. Ross est alors pleinement convaincu de la supériorité des engins à vapeur et désire le démontrer en fabriquant un bolide capable de battre un record du monde de vitesse.
Au début du siècle, la vapeur est largement utilisée dans les locomotives, les navires et les centrales électriques. Un moteur à vapeur est un moteur à combustion interne : un feu fait bouillir de l’eau contenue dans une chaudière hermétique, ce qui produit de la vapeur maintenue sous pression. La vapeur est ensuite acheminée par un tuyau vers une chambre de compression qui actionne le mouvement de va-et vient d’un piston, ce qui actionne une bielle et fait tourner un arbre primaire.
Démarrer le moteur à vapeur d’une automobile prend jusqu’à 20 minutes, le temps de faire bouillir l’eau et d’obtenir la pression de vapeur requise, soit près de 500 à 600 livres. Si ces moteurs ne sont pas très puissants, ils possèdent un couple phénoménal, presqu’aussi élevé que les voitures sport d’aujourd’hui même si le moteur à vapeur ne tourne qu’à 800 tours/minute.
Des calculs effectués récemment affirment que la voiture à vapeur de Ross possédait presqu’autant de couple qu'une Porsche Taycan Turbo S !
Une cocotte-minute sous pression
Une fois toute la partie mécanique définie, Ross désire habiller son bolide d’une carrosserie très effilée qui offre peu de résistance à l’air. Il ne se casse pas la tête et choisit de fixer la coque d’une chaloupe à l’envers sur le châssis.
Cette voiture n’existe plus, mais des documents mentionnent que la Wogglebug était motorisée par deux moteurs à vapeur Stanley qui actionnaient chacun une roue arrière. Le conducteur devait donc constamment ajuster la vitesse de rotation de chaque roue arrière, ce qui faisait filer le bolide en zig-zag. Stanley avait aussi fourni à Ross une chaudière de plus grand volume que ce qui se faisait à ce moment.
Pour établir un record de vitesse, un des meilleurs endroits à l’exception de Bonneville était la plage d’Ormond Beach en Floride. Le 25 janvier 1905, Louis Ross se rend à Ormond Beach pour participer au "championnat du monde d’un mille" avec la chance de gagner le trophée Sir Thomas Dewar remis au conducteur et à la voiture qui abattrait la distance de 1,609 km en le moins de temps.
Ross et la Wogglebug sont confrontés aux nouvelles Mercedes à essence de 90 chevaux de William K. Vanderbilt junior et d’Edward R. Thomas, et la Napier à essence de 90 chevaux aussi de Selwyn F. Edge. Les quatre concurrents effectuent trois passages sur la distance d’un mille.
Contre toute attente, c’est la Wogglebug et son couple formidable qui réalise la vitesse la plus rapide à 94,7 milles/heure, soit 152,4 km/h avec un chrono de 42 secondes. Un exploit formidable pour un passionné inventif qui a conçu et réalisé cette voiture seul dans un petit garage.
Un an plus tard, Ross abandonne la course aux records pour se consacrer à plein temps à son entreprise de production de voitures à vapeur de série. Louis Ross est décédé en 1927.