Afin de faire pression sur la FIA pour faire interdire les astucieux subterfuges employés par les écuries britanniques pour faire rouler leurs voitures sous le poids minimum requis, la Scuderia Ferrari a muni ses monoplaces d’un large aileron arrière double en 1982.
Le Grand Prix des États-Unis Ouest est la troisième étape de la saison 1982 et est présenté dans les rues de Long Beach en Californie. Depuis les deux épreuves précédentes, les écuries britanniques membres de la puissante FOCA (l’association des écuries de F1 dirigée par Bernie Ecclestone) s’opposent aux grands constructeurs automobiles qui, bénéficiant de budgets colossaux, imposent progressivement l’onéreux moteur turbo en Formule 1.
Les écuries FOCA, coincées avec le moteur atmosphérique Ford Cosworth DFV moins puissant, sont reléguées au second rang. Alors, certaines équipes ont trouvé une façon astucieuse de gagner quelques dixièmes de seconde : en faisant rouler leurs voitures sous le poids minimum durant la course, quand elles ne peuvent pas être pesées.
Ces bolides sont munis de réservoirs en plastique pouvant contenir jusqu’à 12 gallons d’eau, soit près de 55 kilos. On fait habilement croire que les réservoirs sont pleins d’eau au départ et que le liquide est vaporisé sur les disques de freins pour les refroidir durant la course. Ainsi, il est normal que les réservoirs soient vides en fin de courses… Il faut donc les remplir avant la pesée.
Marco Piccinini, le directeur sportif de la Scuderia, a porté réclamation contre les écuries Williams et Brabham après le Grand Prix de Brésil à Rio.
L’état-major de Ferrari est outré par une telle ruse et décide de contre-attaquer sur le plan aérodynamique. “Si les Anglais peuvent tricher sans se faire disqualifier, nous allons faire de même” se disent Piccinini et Mauro Forghieri.
Une surprise en piste
Les Ferrari 126 C2 de Gilles Villeneuve et Didier Pironi disputent la journée de vendredi du Grand Prix de Long Beach le 2 avril 1982 avec des monoplaces habituelles. Toutefois, le samedi matin, la voiture de Pironi apparaît avec un aileron arrière double extrêmement large !
Le règlement technique stipule que l’aileron arrière ne peut excéder une largeur de 110 cm. Ferrari confronte les officiels en fixant deux mini ailerons de 110 cm sur un support central. Pour respecter encore mieux le règlement, les deux ailerons ne sont pas fixés bout à bout, mais décalés l’un de l’autre. Ainsi, il ne s’agit pas d’un aileron large de 220 cm, mais bien de deux ailerons distincts de 110 cm… Comme les réservoirs d’eau, cet aileron respecte le règlement, mais pas l’esprit du règlement. Évidemment, cette astuce ne plaît pas du tout aux patrons de écuries FOCA.
Après celle de Pironi, c’est la 126 C2 de Villeneuve qui apparaît avec cet étrange aileron samedi après-midi. À son volant, Gilles réalise le septième meilleur temps des qualifications. Pironi démarre la course huitième, mais abandonne dès le sixième passage quand il tape un muret en béton et casse un triangle de suspension.
Pendant ce temps, Villeneuve attaque fort, comme toujours. Il complète le premier tour en cinquième place et remonte jusqu’en seconde position. Il entre alors en bagarre avec son vieil ami, Keke Rosberg, qui pilote une Williams-Ford. On se croirait revenu au temps de la Formule Atlantique !
Au 21e tour, Villeneuve pousse un peu trop fort et effectue un tête-à-queue. Il s’en sort rapidement et repart à l’attaque. Il termine la course de 75 tours en troisième position derrière Niki Lauda sur une McLaren-Ford, deuxième, et Rosberg.
Quand Villeneuve grimpe sur le podium, la colère gronde dans le paddock. La plupart des écuries FOCA portent plainte contre la Ferrari de Villeneuve. Ken Tyrrell ne proteste toutefois pas, mais affirme qu’il s’agit d’une interprétation erronée du règlement technique ! Après pas mal de discussions, les commissaires sportifs donnent raison aux équipes FOCA et la Ferrari du Québécois est disqualifiée.
Le Grand Prix suivant sera celui de San Marino à Imola, théâtre de la fameuse controverse entourant la victoire de Pironi sur Villeneuve qui mènera à leur cruelle dispute.