Au milieu des années 70, une toute petite écurie de Formule 1 a réussi, sans aucun commanditaire, à faire trembler de peur les équipes majeures du moment qui étaient Ferrari, McLaren, Lotus et Brabham.
Cette idée un peu folle de créer une écurie de Formule 1 totalement privée, sans aucun financement extérieur, est née dans la tête de Lord Alexander Hesketh, troisième baron Hesketh ; un aristocrate britannique qui disposait d’une fortune colossale.
Lord Alexander Hesketh est né le 28 octobre 1950 dans la richesse et l’opulence. Très tôt, il se passionne pour la course automobile qui véhicule selon lui des notions de courage, d’excellence, de dépassement de soi et de détermination. Dans un podcast “Beyond The Grid”, Hesketh raconte qu’à huit ans, sa chambre était décorée de photos de Juan Manuel Fangio et de Stirling Moss. Il rêvait de F1 en lisant des magazines et des livres sur le sujet et précise que le grand Jim Clark était un des voisins de la famille.
Il assiste à sa première course automobile à l’âge de 16 ans. C’est alors qu’il se lie d’amitié avec un jeune pilote de Formule 3 au talent limité, Anthony “Bubbles” Horsley, un ancien vendeur de voitures d’occasion.
Hesketh découvre alors l’arrière-scène du sport automobile, sa complexité, ses entourloupes et ses coups bas. Le Lord anglais a alors une idée très patriotique, celle de former le futur champion britannique de F1 et de le faire triompher sur une voiture britannique, évidemment.
C’est justement à cette époque qu’un jeune Britannique fougueux court en Formule 3. Il s’agit de James Hunt qui tombe vite en désaccord avec son patron chez March, Max Mosley. Hesketh le prend sous son aile, car il voit en lui le prochain champion britannique.
Après avoir fait courir Hunt en F3 et aussi en Formule 2, Hesketh voit grand et décide de grimper en F1. Il recrute un ingénieur de grand talent, Harvey Poslethwaite, débauché de chez… March. Lord Hesketh installe Poslethwaite dans un bureau de son immense manoir d’Easton Neston à Towncester, tout près du circuit de Silverstone.
Des débuts étonnants en F1
En 1973, Hesketh monte son équipe, place “Bubbles” Horsley aux commandes et achète une March 731 à moteur Ford Cosworth DFV. Hunt se classe sixième en France, quatrième en Grande-Bretagne, troisième aux Pays-Bas et second à Watkins Glen. Il faut dire que c’est Poslethwaite qui avait conçu cette March, et il la connaissait donc par cœur et la fit évoluer de bonne façon.
Poslethwaite et la toute petite équipe conçoit et produit ensuite la Hesketh 308 à moteur DFV (photo ci-dessus). Il s’agit d’une monoplace simple, efficace, dotée d’une bonne vitesse maximale et bien à l’aise sur les circuits rapides. Elle est d’abord munie d’une suspension conventionnelle à ressorts métalliques avant que Harvey ne teste des ressorts en caoutchouc.
La 308 effectue ses débuts à l’International Trophy à Silverstone le 7 avril 1974, une course de F1 hors-championnat, où Hunt remporte la victoire, ce qui le rend terriblement populaire au Royaume-Uni. Il faut préciser que Hesketh joue à fond la carte du patriotisme et paie toutes les factures de sa proche. La voiture est d’un blanc immaculé, sans un seul commanditaire. En 1974, Hesketh avoue avoir dépensé 68 000£ (l’équivalent de 634 000£ aujourd’hui, soit tout près d’un million de dollars canadien actuels) pour la saison. Il a eu droit à des primes de départ de 38 000£, ce qui fait que sa saison lui a coûté 30 000£ (280 000£ aujourd’hui, ou 435 000$ canadiens).
Hesketh et Hunt décrochent une première victoire aux Pays-Bas à Zandvoort en 1975 sur une piste d’abord mouillée allant en s’asséchant. Hunt stoppe tôt durant la course pour faire monter des pneus secs. Il gagne la course devant Niki Lauda et sa Ferrari.
Cependant, fin 1975, ses finances personnelles étant précaires, Hesketh annonce à Hunt que sa petite écurie abandonne la F1. Hunt est recruté par McLaren, presque par miracle. Hesketh vend ensuite ses voitures à Frank Williams qui vient de s’associer au milliardaire canadien Walter Wolf.
Hesketh Racing n’a disputé que 27 Grands Prix avec James Hunt, mais cette équipe a marqué les esprits. Ce groupe de passionnés a réellement fait peur aux grandes écuries du moment. Lord Hesketh jouait le jeu de l’excentricité. Exhibant fièrement son yacht et son hélicoptère, il arrivait dans les paddocks de F1 en Rolls-Royce, habillé d’un complet blanc avec un œillet à la boutonnière, servant du champagne et du caviar entouré de jolies jeunes filles.
Derrière cette façade d’excentricité et de frasques de toutes sortes se cachait un petit groupe d’ingénieurs et de mécanos extrêmement talentueux, hyper déterminés et extrêmement compétents. Ils laissaient celui qu’ils appelaient “Le Patron” (en français, s’il-vous-plaît) donner le spectacle et jeter de la poudre aux yeux tandis qu’eux travaillent comme des forcenés pour faire évoluer la voiture.
James Hunt était le pilote parfait pour cette équipe vraiment peu ordinaire. Fumeur invétéré, il jouait bien son rôle de grand séducteur. Se présentant dans les hôtels les plus chics de la planète en jeans, t-shirt et souvent pieds nus, il démontrait qu’on pouvait être décontracté dans sa vie publique tout en étant un rival redoutable dans son sport.
Décidément, la F1 était très différente durant ces années-là !