Le Grand Prix du Canada de 1981 a été le théâtre de la dernière victoire du Français Jacques Laffite en Formule 1 et aussi, bien évidemment, de la performance héroïque de Gilles Villeneuve aux commandes d’une Ferrari passablement amochée.
Les succès de Laffite et de Villeneuve tiennent en deux mots : talent exceptionnel des pilotes et efficacité remarquable des pneus pluie Michelin.
Lors que le cirque de la F1 arrive à Montréal en cette fin de septembre 1981, Gilles Villeneuve a déjà remporté deux victoires inattendues, acquises dans les rues sinueuses de Monaco et sur le circuit tortueux de Jarama en Espagne devant un train de voitures plus rapides.
Les monoplaces 1981 sont munies de suspensions hyper raides. Elles rebondissent de façon dangereuse au passage de chaque bosse. On dirait des karts de 600 kilos. Les essais libres et les deux séances de qualification du Grand Prix sont d’ailleurs souvent interrompues par le drapeau rouge, conséquence de contacts avec un muret de béton.
Le Brésilien Nelson Piquet installe sa Brabham BT49C-Ford en pole position devant les Williams FW07C-Ford de Carlos Reutemann et d’Alan Jones, la Renault RE30 turbo d’Alain Prost et la Lotus 87-Ford de Nigel Mansell. Gilles Villeneuve s’est qualifié 11e aux commandes de sa Ferrari 126CK tandis que son frère Jacques n’y est pas parvenu à bord de sa Arrows A3-Ford.
Dimanche 24 septembre, c’est le jour de la course. C’est aussi le déluge dans la région de Montréal. Craignant d’assister à plusieurs accidents durant la course, les organisateurs de l’événement désirent changer certaines clauses du contrat d’assurance, ce à quoi Bernie Ecclestone s’oppose farouchement. Les pourparlers s’éternisent, durent plus de deux heures, mais un accord est finalement trouvé.
La pluie n’a pas cessé et une autre averse de forte intensité noie le circuit juste avant le départ. Au feu vert, Jones profite du patinage des pneus arrière de la Brabham de Piquet pour le doubler et prendre la commande. Au sixième tour, Prost, aux commandes de sa Renault chaussée de pneus Michelin hyper efficaces dans ces conditions, se glisse tête. Toutefois, Prost est rapidement doublé par Jacques Laffite sur sa Ligier JS17 à moteur V12 Matra et chaussée de pneus… Michelin.
Gilles Villeneuve roule à fond malgré la pluie
Pendant ce temps, Villeneuve démontre tout son talent d’équilibriste. Il complète le premier tour en 10e place, puis il remonte en septième, cinquième, troisième, puis le voilà en seconde position derrière Laffite au 15e tour. C’est tout un exploit pour Villeneuve qui pilote une monoplace propulsée par un puissant moteur turbo qui souffre d’un long temps de réponse. De plus, la pluie rend la visibilité très mauvaise.
John Watson, au volant d’une McLaren MP4/1-Ford, est un autre pilote profite pleinement de l’avantage que lui procure les gommes Michelin. Qualifié neuvième, Watson remonte vite le peloton et roule en troisième place dès le 17e passage. Au 38e tour, Watson double Villeneuve pour la deuxième place. La Ferrari roule alors avec un aileron avant légèrement plié.
Deux tours plus tard, le Québécois frise la catastrophe. Villeneuve veut doubler la Lotus d’Elio de Angelis qui accuse un tour de retard. Il plonge à l’intérieur au freinage de l’épingle du pont Jacques-Cartier, mais l’Italien ne l’a pas vu. Les deux voitures se touchent, ce qui brise une extrémité de l’aileron avant de la Ferrari.
Tour après tour, l’aileron amoché s’incline de plus en plus. Le pauvre Villeneuve doit souffrir d’un sousvirage terrible, d’autant qu’il pleut toujours fort. Sous les forces aérodynamiques, l’aileron se dresse à la verticale puis se couche au-dessus du cockpit de la Ferrari !
On aperçoit Villeneuve pencher sa tête dans les virages pour voir où il va. Dans la salle des officiels, ça discute fort. Doit-on obliger Villeneuve à stopper pour faire changer son aileron ? La rumeur affirme que les responsables locaux ont tout fait pour étirer les discussions aussi longtemps que possible !
Au 57e tour, l’aileron endommagé s’envole enfin. Villeneuve braque et contrebraque, et maintient adroitement sa voiture sur la piste archi glissante. La durée maximale de la course, deux heures, approche.
Le drapeau à damier est agité au 63e tour et salue la victoire de la Ligier de Jacques Laffite. John Watson se classe second à 6”2 du Français et Gilles Villeneuve croise l’arrivée en troisième place dans sa Ferrari turbo dépourvue de son aileron avant, à 1’50”2 du vainqueur. Bruno Giacomelli se classe quatrième dans sa Alfa Romeo 179C devant Nelson Piquet et Elio de Angelis.
Ce sont trois pilotes sous contrat Michelin qui grimpent sur le podium. Laffite fait le clown, comme d’habitude, tandis que la foule acclame son héros, Gilles Villeneuve, qui vient de démontrer encore une fois son talent exceptionnel.
Note : La photo ci-dessus montre Gilles Villeneuve aux commandes de sa Ferrari 126CK lors des essais, et si on regarde bien au second-plan, on aperçoit son frère Jacques au volant de sa Arrows orange.