Site officiel de Pole-Position Magazine - Le seul magazine québécois de sport automobile

www.Poleposition.ca

Site officiel de Pole-Position Magazine

Rétro 1991 : Création de l’écurie Jordan de Formule 1

Rétro 1991 : Création de l’écurie Jordan de Formule 1

Vendredi 2 septembre 2022 par René Fagnan
Crédit photo: Galeron

Crédit photo: Galeron

En 1991, une toute nouvelle écurie de Formule 1 a créé la sensation par la beauté et l’élégance de sa monoplace, et par ses performances particulièrement étonnantes. Cette écurie était irlandaise, avait couru avec beaucoup de succès en Formule 3000 et venait de signer un grand coup en devenant la première équipe de F1 à être commanditée par la boisson gazeuse 7Up produite par PepsiCo.

Le grand patron de cette écurie était en ancien pilote de Formule 2, un Irlandais excentrique nommé Eddie Jordan; un fin renard particulièrement habile à vendre sa salade aux commanditaires potentiels. La voiture, la Jordan 191 à moteur V8 Ford, avait été créée par l’ancien mécanicien en chef de l’écurie Brabham, Gary Anderson, un autre Irlandais.

Tout le monde sait que c’est aux commandes d’une Jordan 191 que Michael Schumacher a effectué ses débuts en Formule 1 au Grand Prix de Belgique à Spa en 1991.

Les premières courses de la Jordan 191 ont été ruinées par des pannes mécaniques. Cependant, c’est au Grand Prix du Canada à Montréal que les deux Jordan, pilotées par Bertrand Gachot et Andrea de Cesaris, ont marqué leurs premiers points. En dépit de l’utilisation d’un moteur Ford Cosworth HB Série 4 client, l’écurie Jordan a terminé la saison 1991 en cinquième place sur 18 au classement des constructeurs avec un total de 13 points.

Un autre Irlandais, Mark Gallagher, était à cette époque le responsable média de l’écurie Jordan. Auparavant, Mark et son ami, le photographe Bryn Williams, étaient associés dans "Words & Pictures", une petite compagnie qui fournissait les textes et photos de différentes séries européennes pour le magazine "Formula" où j’effectuais mes débuts en journalisme.

Maintenant à la tête de "Performance Insights Ltd", Gallagher m’a récemment raconté la création de l’écurie Jordan 7Up de F1. Il souligne qu’Eddie Jordan faisait signer des contrats de gérance à ses pilotes et que son écurie remporta le titre de Formule 3 britannique avec Johnny Herbert en 1987 puis le titre de Formule 3000 avec Jean Alesi en 1989 avec le soutien financier de Camel. Il confirme que l’idée de créer une écurie de F1 trottait dans la tête de Jordan depuis quelques années. Il avait vu la possibilité de refaire ce que Ron Dennis avait fait en achetant McLaren avec la bénédiction de Marlboro.

Camel était déjà présent en F1 comme commanditaire-titre de l’écurie Lotus, mais les résultats étaient décevants. « Eddie Jordan était en pourparlers avec Lotus pour y placer Martin Donnelly, un de ses pilotes de F3000. Puis, il a tenté d’intéresser Camel à l’aider à acheter Lotus, mais ça ne s’est pas fait. Il a alors décidé de changer de stratégie et de monter sa propre structure » nous explique Gallagher.

Du vert en Formule 1

Si Jordan possède des ateliers et 33 employés, il n’a pas de bailleur de fonds pour faire concevoir et fabriquer sa première monoplace de F1. « Eddie était convaincu que la meilleure façon de trouver des commanditaires était de dévoiler la vraie voiture et non pas avec des dessins ou des documents. Eddie voulait à tout prix prouver que sa voiture était une réalité » ajoute Gallagher.

Jordan a joué gros et a donc investi toutes ses économies dans la réalisation de cette 191. « Eddie a engagé Gary Anderson, Andrew Green et Mark Smith pour concevoir la voiture. Celle-ci fut terminée en octobre et c’est John Watson qui a roulé à son volant pour la première fois à Silverstone afin de démontrer le sérieux de l’affaire » ajoute Gallagher.

Voulant mettre en valeur l’identité irlandaise de son nouveau bolide, Jordan l’a fait peindre en vert et a conclu une entente de commandite avec le Bureau de tourisme d’Irlande. Puis, la couleur verte a permis à Eddie Jordan de signer deux contrats majeurs de commandite.

« Nous nous sommes mis à éplucher les catalogues d’entreprises et à identifier celles qui utilisaient la couleur verte dans leurs logos » poursuit Gallagher. « Eddie a aussi su que PepsiCo jonglait avec l’idée d’entrer en F1. Une agence de publicité de Londres, Parallel Media, nous a aidé. Le vert du logo de 7Up s’intégrait parfaitement avec la couleur de la voiture. Le montant de la commandite était que de deux millions de dollars. PepsiCo s’était dit que même si la Jordan F1 était un échec, l’entreprise ne perdrait pas beaucoup d’argent. Cependant, cette commandite de 7Up en F1 a réellement crédibilisé l’équipe » raconte notre interlocuteur.

Un autre partenaire utilisant la couleur verte dans son logo s’est joint à la nouvelle écurie. « La photographie était un élément majeur en sport automobile et nous avons signé une entente avec Fuji Film » de dire Gallagher.

La saison 1991 fut fort réussie pour la petite écurie Jordan. Toutefois, les pertes financières furent énormes… Eddie Jordan avait englouti ses économies dans la production de la première voiture et les revenus provenant des commanditaires était relativement bas. « Nous faisions face à un énorme trou à la banque » avoue Gallagher. « Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je peux estimer qu’Eddie Jordan avait misé sur des dépenses annuelles de 7,5 millions de dollars alors qu’en fait, cette première saison lui en a coûté 11 millions. Les dettes étaient colossales.»

Eddie Jordan a cru être tiré d’affaires durant l’hiver 1991/1992 quand il a obtenu des moteurs V12 Yamaha gratuits et une commandite majeure de Sasol, la compagnie pétrolière sud-africaine. Ayrton Senna lui-même avait fait pression sur Sasol afin qu’elle s’associe à Jordan pour y faire engager son grand ami, Mauricio Gugelmin.

La saison 1992 fut un désastre total. La voiture était lente, fragile et imprévisible, et le moteur Yamaha OX99 manquait clairement de puissance et explosait avec fracas aussi souvent que possible. Une saison à oublier. Mais Eddie Jordan avait réalisé son rêve.

À noter enfin que la Jordan 191 verte fit la page couverture du troisième numéro de Pole-Position Magazine, en août 1991, avec Bertrand Gachot au volant.