Dans un article récent, nous avons parlé de la Brabham-BMW BT52 de 1983. Le titre mondial de Formule 1 acquis par Nelson Piquet cette année-là demeure entaché par la vive controverse concernant l’utilisation par l’écurie Brabham et son motoriste, BMW, d’un carburant synthétique apparemment non-conforme.
Durant l’hiver 1982/1983, l’équipe F1 de BMW, dirigée par Paul Rosche, procède à plusieurs améliorations à son moteur 1500 cc quatre cylindres turbo destiné à l’écurie Brabham. Rosche confie à Gordon Murray, le concepteur des Brabham, que le moteur va désormais dépasser la barre des 1000 chevaux lors des qualifications.
Toutefois, une telle puissance nécessite une pression de suralimentation très élevée, ce qui cause des sérieux problèmes de détonation (ou d’autoallumage, car le mélange air/essence, surchauffé, s'enflamme spontanément à la compression, avant même d'être allumé par la bougie).
La saison commence et la Brabham BT52 est certes rapide, mais son surpuissant moteur BMW casse souvent, ce qui cause bien des abandons à ses pilotes, Nelson Piquet et Riccardo Patrese.
À ce moment, le règlement technique spécifie que l’indice d’octane de l’essence F1 ne doit pas dépasser 102 RON, mais ne précise pas qu’elle doit provenir du commerce. Rosche a un ami qui travaille chez Wintershall, une division du géant de la pétrochimie BASF qui produit de l’essence pour les stations-service Aral.
Wintershall possède une solide expertise dans le domaine des carburants synthétiques, car durant la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise a fabriqué du carburant pour les avions de chasse allemands sans utiliser de plomb, trop rare, mais du toluène, un hydrocarbure aromatique couramment utilisé en tant que réactif ou solvant, et qui pouvait être fabriqué.
Wintershall a donc mélangé du toluène à de l’iso-octane et du h-heptane afin d’abaisser son indice d’octane à 102 RON. Mais ce carburant synthétique permettait une suralimentation accrue sans risquer d’autoallumage. Après des essais en piste et des ajustements à la centrale de gestion électronique Bosch, BMW confirme que son moteur atteint la puissance de 1400 chevaux avec une pression de 5,6 bars !
Une fin de saison spectaculaire
Les Brabham gagnent les trois derniers Grands Prix de la saison 1983 et Piquet est sacré Champion du monde. À l’occasion de la dernière épreuve, tenue en Afrique du Sud, la pétrolière française Elf, qui est associée à Renault qui vient d’être battu, prétend s’être procuré un peu de ce carburant synthétique Wintershall et que ce dernier affiche un indice d’octane plus élevé que 102 RON. Cependant, les analyses effectuées par les officiels au circuit de Kyalami ne révèlent rien d’anormal et le titre de Piquet est confirmé.
Quelques semaines plus tard, d’autres analyses réalisées par la FIA révèlent, avec stupeur, que l’essence Brabham excède de peu en effet, la marque de 102 RON…
S’en suit un jeu politique, magnifiquement bien raconté par “Jabby” Crombac dans son livre “En première ligne”. Le président de la FIA et de la FISA à ce moment, Jean-Marie Balestre, préféra ne pas intervenir et ne pas sanctionner l’écurie Brabham de Bernie Ecclestone. La raison ? Balestre en voulait à l’écurie Renault et à son patron, Gérard Larrousse, de ne pas l’avoir soutenu en 1981 quand la FIA sentait qu’elle était sur le point de gagner la guerre politique qui l’opposait à Ecclestone et les écuries FOCA (l’association des constructeurs).
Puisque la FIA ne bougeait pas dans le dossier de l’essence Brabham fin 1983, Renault aurait alors dû elle-même porter réclamation à l’encontre de BMW et ainsi lui retirer le titre mondial. Cependant, Renault ne tenait absolument pas à étaler sur la place publique une querelle avec un autre constructeur automobile majeur. De plus, Renault ne voulait surtout pas se mettre Ecclestone à dos.
Au final, Renault laissa tomber toute contestation et félicita Brabham, BMW et Piquet pour l’acquisition du titre F1 1983. La FIA décida ensuite d’ajouter les importants mots “essence de commerce” à sa règlementation technique F1.
Certaines personnes affirment que Brabham a remporté le titre avec du carburant “nazi” développé durant la deuxième guerre. Selon un ingénieur de la division commerciale de Wintershall interviewé, cette légende est complètement fausse et a été alimentée par le fait que BASF était l'une des entreprises partenaires de “IG Farben”, l’entreprise chimique allemande qui a inventé le carburant synthétique à base de charbon et qui était responsable de la quasi-totalité de la production du carburant allemand pendant la Seconde Guerre mondiale.
Seuls quelques composants du carburant de compétition BASF-Wintershall pour BMW F1 ont pu également être trouvés en très petites quantités dans le carburant des avions de chasse de la Luftwaffe durant la Seconde Guerre.
Sur la photo ci-dessus, on aperçoit, de gauche à droite, Paul Rosche, Gordon Murray et Nelson Piquet.