La fameuse Brabham-Alfa Romeo BT46B a été la première et seule monoplace de Formule 1 munie d’un ventilateur/aspirateur à rouler et à gagner un Grand Prix. À son volant, Niki Lauda a facilement remporté le Grand Prix de Suède à Anderstorp, le 17 juin 1978.
Quelques semaines plus tard, le monde apprenait avec un certain étonnement que Brabham ne ferait plus courir sa BT46B. En réalité, la voiture aspirateur ne fut jamais bannie. « Dire qu’elle fut bannie est un beau cas de fausse nouvelle » nous avait déclaré Gordon Murray, son créateur, il y a de cela quelques années. Alors que s’est-il passé en seulement quelques jours pour que l’écurie Brabham retire une voiture qui venait de remporter une victoire ?
Disons que certains propriétaires d’écuries rivales, surtout Colin Chapman du Team Lotus, ont mis une pression énorme sur Bernie Ecclestone afin qu’il ne fasse plus rouler cette BT46B. Il faut préciser qu’à ce moment-là, Ecclestone portait deux casquettes : celle de propriétaire de l’écurie Brabham et celle, très importante, de patron de la FOCA, l’association des constructeurs de F1.
Ce Grand Prix de Suède a eu lieu samedi le 17 juin (1978). Immédiatement après la course, durant le débriefing technique, Mario Andretti, pilote No.1 de l’écurie Lotus, indique à Colin Chapman que la Brabham, qu’il a longtemps suivie, était rapide dans les virages, mais lente sur les lignes droites.
Chapman contacte les autres directeurs d’écurie et les alarme, affirmant que si les ventilateurs sont permis en F1, il sera possible de négocier tous les virages d’un circuit rapide comme celui de Silverstone à fond, sans lever le pied, d’où la forte possibilité d’assister à de terribles accidents en cas d’accrochages ou de défaillance du système.
Le soir même, Colin Chapman contacte son quartier général au Royaume-Uni et discute avec Peter Wright, l’aérodynamicien de l’écurie. Il demande à son équipe technique de produire une Lotus aspirateur. En réalité, l’objectif poursuivi par Chapman n’est pas de faire fabriquer une véritable voiture aspirateur, mais de créer un vent de panique au sein des autres écuries afin qu’elles mettent toutes la pression sur Ecclestone pour faire interdire cette technologie.
Commence alors un travail titanesque qui va durer deux semaines chez Lotus. Wright et Martin Ogilvie, le concepteur en chef, décident non pas de copier le design de la Brabham, mais de l’améliorer. La Brabham possédait un moteur Alfa Romeo à plat, très large, qui empêchait de greffer deux long pontons latéraux comme sur la Lotus T79. Gordon Murray avait placé le ventilateur à plat au-dessus du moteur et l’air aspiré sous le bolide était soufflé vers l’arrière.
Des photos qui ont un effet dissuasif
Puisque la Lotus T79 était munie de larges pontons, Wright et Ogilvie s’entendent pour placer deux ventilateurs à l’extrémité arrière des pontons. Cette disposition créerait un effet de succion encore plus puissant et rendrait la Lotus encore plus rapide.
Un modèle réduit de la T79 est ainsi modifié avec l’ajout de deux ventilateurs industriels à l’arrière. L’histoire est très bien racontée dans le livre "Lotus 79, Owners’ Workshop Manual" de Haynes. Sachant que la T79 produisait déjà un excellent effet de sol, Wright décida que les ventilateurs fonctionneraient à pleine capacité à basse vitesse et réduirait leur effet à haute vitesse, puisque l’effet de succion des pontons était déjà très efficace.
« Martin [Ogilvie] a dessiné le mécanisme qui actionnait les ventilateurs industriels. Ils étaient placés de part et d’autre de la boîte de vitesses et étaient actionnés par des poulies entraînées par un arbre situé à l’arrière de la transmission » raconte Wright. « J’ai modifié le modèle réduit de la T79 avec les deux ventilateurs. Je l’ai placé sur une table et j’ai mis les ventilateurs en marche. J’ai tenté de soulever la maquette, mais j’en étais incapable. Le système fonctionnait ! » ajoute-t-il.
Le plan était de fabriquer la maquette et vérifier son fonctionnement. Si tout était en ordre, une véritable T79 serait modifiée, montrée au circuit de Silverstone et roulerait même avec dans le paddock pour démontrer qu’elle était bel et bien fonctionnelle.
« Nous avons pris quelques photos de la maquette avec un Polaroïd et Colin est allé les montrer à Bernie [Ecclestone], lui faisant bien comprendre qu’il fallait interdire cette technologie, car notre T79 allait être supérieure à sa BT46B » poursuit Wright. Selon notre compréhension, Chapman ne précise pas qu’il s’agit de photos d’une maquette et laisse croire à Ecclestone qu’il s’agit plutôt d’une véritable voiture.
Chapman plaide aussi qu’en portant deux casquettes, Ecclestone est juge et partie dans cette affaire. Ecclestone ne prit pas de temps à réagir. Afin de conserver son pouvoir au sommet de la FOCA, il décide d'abandonner sa BT46B. Mais la victoire de Lauda reste dans les annales. « C’est l’association des constructeurs qui a mis de la pression sur Bernie [Ecclestone] et moi-même pour que nous retirions cette voiture de la compétition. Ce que nous avons accepté de faire. Mais elle ne fut jamais bannie » nous avait confirmé Gordon Murray.
Chapman fut extrêmement satisfait, car grâce à un investissement ridiculement bas, il avait réussi à faire plier Ecclestone. Ce dernier tiendra toutefois sa revanche quelques années plus tard en faisant interdire de roulage la fameuse Lotus T88 à double châssis de Chapman…
Note : Il n’existe aucune photo de la maquette de la Lotus 79 munie des deux ventilateurs. Même la plupart des plans dessinés par Ogilvie ont été détruits.