Durant les années 70, le milliardaire canadien Walter Wolf et l’ingénieur italien Gian Paolo Dallara sont devenus d’excellents amis. Cette amitié a commencé quand Wolf a demandé à Dallara de modifier et surtout d’améliorer la Lamborghini Countach que Wolf venait d’acheter. Très mécontent de sa tenue de route aléatoire, de son freinage perfectible et de son allure générale, Wolf a demandé à Dallara d’en faire une véritable Formule 1 de la route.
En 1977, son écurie, Walter Wolf Racing, participe au Championnat du monde de F1 avec la magnifique Wolf WR1-Ford pilotée par Jody Scheckter. La Wolf remporte une victoire surprise lors de son premier Grand Prix disputée en Argentine.
Walter Wolf décide d’investir encore quelques dollars en sport automobile (on parle ici de 300 000$ US) et de disputer le championnat Can-Am SCCA nord-américain. Cette fois, il demande à Dallara de lui concevoir un bolide de série Can-Am et recrute Chris Amon pour la piloter.
La Can-Am de cette époque met en vedette des voitures de Formule 5000 entièrement carrossées et munies de moteurs "stock blocks" de cinq litres. Si plusieurs équipes choisissent de démarrer avec des Lola T332CS et T333CS, Dallara et son équipe choisissent plutôt de partir d’un châssis Talon MR1A.
Graham McRae, un pilote et constructeur de Nouvelle-Zélande, fabriquait alors des monoplaces de F5000. Les plans de la McRae GM2 furent vendus à Jack McCormack en Californie qui a en construit cinq exemplaires sous le nom de Talon.
Wolf achète un châssis Talon et le fait habiller d’une imposante carrosserie enveloppante par l’équipe de Dallara. Puis, on y greffe un gros moteur Chevrolet d’une cylindrée de cinq litres préparé par Falconer and Dunn et une boîte de vitesses Hewland DG 300 à cinq rapports.
La voiture est ensuite testée par Amon sur le petit circuit de Varano situé près de la ville de Parme, à un jet de pierre des ateliers de Dallara. Amon déclare être enchanté par les performances de la voiture. Le pauvre Amon sera vite déçu…
La Wolf Dallara traverse l’Atlantique, arrive à Montréal et est transportée au circuit du Mont-Tremblant dans les Laurentides. Lors des essais du vendredi 10 juin (1977), la Can-Am de Brian Redman décolle sur la ligne droite, retombe à l’envers, et blesse sérieusement son pilote qui prendra neuf mois à s’en remettre.
L’accident secoue sérieusement Amon qui est en fin de carrière et qui ne désire absolument pas connaître le même sort, d’autant que la Wolf Dallara est pratiquement inconduisible. Amon se qualifie deuxième, mais abandonne après seulement sept tours.
Amon annonce à Walter Wolf qu’il désire raccrocher son casque et diriger l’équipe. Gaston Parent, le gérant de Gilles Villeneuve, loue un de ses bureaux de Montréal à Walter Wolf pour diriger l’équipe Can-Am. Parent offre donc de faire courir Villeneuve dans cette Wolf Dallara, ce que le patron accepte. Il s’agit du premier salaire de pilote pour Villeneuve, lui qui a toujours dû trouver des commanditaires pour courir. Son salaire mirobolant ? Deux mille dollars par course !
Gilles Villeneuve dispute quatre épreuves de la série Can-Am en 1977. À Watkins Glen, il se qualifie quatrième et abandonne sur bris de transmission. À Road America, signe le meilleur chrono des qualifications, mais prend le départ en deuxième place à cause de son résultat (2e place) lors d’une course de qualification de 10 tours. Lors de l’épreuve principale, disputée sur 38 tours, il termine en troisième place, juste devant la Lola de Patrick Tambay.
À Mosport, il démarre sixième et abandonne sur rupture d’un arbre de transmission. Finalement, à Trois-Rivières, Gilles se qualifie troisième et abandonne sur bris de moteur.
La Wolf Dallara était un cauchemar à piloter. Amon et Villeneuve étaient incapables de prédire ses réactions. Ils risquaient de sortir de piste dans presque chaque virage.
Ne pouvant rien en tirer de bon, Wolf fait don de la voiture au département de mécanique automobile du Centennial College situé à Scarborough en Ontario où elle est désossée. Plusieurs années plus tard, le bolide en pièces est acheté par un Italien qui demeure aux États-Unis, Dino Crescentini, qui s’est malheureusement tué à son volant le 22 juin 2008 sur le circuit de Mosport, lors d’une course de voitures historiques.
Après, la voiture endommagée fut achetée par un pilote de F5000 Néo-Zélandais, Stuart Lush, qui l’a remise à neuf et testée à quelques reprises avant de l’expédier au musée Gilles-Villeneuve de Berthierville, qui l’a conservée durant deux ans.
Dans un texte publié sur le web, Lush explique que la Wolf Dallara était très pesante, et que son énorme aileron arrière était terriblement lourd. Il ajoute que le freinage n’était ni assez puissant, ni suffisamment endurant. Selon lui, le problème majeur de la voiture était son "bump steer", ce défaut de tenue de route où l’avant du bolide zigzague sans qu’on touche au volant. Ce phénomène est causé par les bosses de la piste qui interagissent avec la longueur ou l'angle inadéquat des éléments de la suspension et la géométrie de la direction. Ainsi, la Wolf Dallara allait un peu où elle le voulait sur la piste de façon imprévisible !
Le fait que Gilles Villeneuve soit parvenu à signer le meilleur temps des qualifications à Road America au volant de cette voiture démoniaque est une autre preuve irréfutable de son immense talent.