Relativement peu connu ici, le pilote canadien Allen Berg a disputé sa première course de Formule 1 le 22 juin 1986 à l’occasion du Grand Prix des États-Unis présenté dans les rues étroites et bosselées de Détroit au Michigan.
C’était la première fois qu’un Canadien prenait le départ d’un Grand Prix de F1 depuis la disparition tragique de Gilles Villeneuve.
Né à Vancouver en 1961, Allen Berg a d’abord été champion de Formule Ford dans l’ouest canadien avant de courir en Formule Atlantique et de devenir champion de Formule Pacifique en 1983. Il court ensuite dans le championnat britannique de Formule 3 avant d’être couronné vice-champion de la catégorie en 1984.
Avec un peu de financement local et l’appui de Michel Konig, le propriétaire du magazine Grand Prix International (qui l’a commandité en F3), Berg doit normalement prendre la place de Christian Danner chez Osella au Grand Prix du Canada à Montréal.
Danner est sous contrat avec Osella, mais BMW tente de le récupérer pour le placer chez Arrows-BMW. Enzo Osella attend d’encaisser le dédommagement financier de BMW qui tarde à venir pour libérer Danner. L’argent arrive enfin, mais les essais ont déjà commencé. Danner pilote donc l’Osella à Montréal tandis que Berg, patient, passe la fin de semaine avec la petite équipe italienne. Berg va donc débuter en F1 à Détroit le week-end suivant.
« J’ai signé mon contrat lundi après la course dans les garages de l’île Notre-Dame sur un document sur lequel le nom de Danner avait été biffé et remplacé par le mien » me raconte Berg. « Enzo Osella ne parlait pas anglais. Par chance, on m’a confié un ingénieur et deux mécanos qui comprenaient l’anglais. »
Destination Détroit. Berg fait mouler son siège, car il est nettement plus petit que Danner de presque 30 centimètres. « J’étais de petite taille. Ça faisait l’affaire d’Osella, car en cas d’accident, je pouvais replier mes jambes sous le tableau de bord et ainsi les protéger un peu en cas de choc. »
Vendredi matin, Berg et les autres pilotes se préparent à affronter le circuit urbain de Détroit. « Avant les premiers essais, je marchais dans la ligne des puits et Ken Tyrrell m’a abordé et m’a dit “La chose la plus sensée que tu puisses faire ce week-end est de garder la voiture sur la piste. »
L'Osella ? Un camion...
Par contre, cette Osella FA1G à moteur turbo Alfa Romeo 890T n’a à peu près rien d’une F1. C’est une sorte de gros camion, peu aérodynamique, pataude et… pas rapide du tout. « À cette époque, il n’y avait pas de radio, pas de vidéos de caméras embarquées, pas de jeux vidéo, pas d’acquisition de données ni de télémesure, et surtout pas de simulateurs. Je n’ai pas pu essayer la voiture avant de rouler à Détroit » ajoute Berg.
« J’y suis allé très doucement et de façon très progressive. Sur cette piste bosselée et bordée de murets de béton, je n’avais pas droit à l’erreur. Un simple écart de trajectoire et boum, c’était fini. J’avais désespérément besoin de temps de piste, et si j’endommageais la voiture, eh bien ma séance était terminée. »
Le pilotage de l’Osella l’a déconcerté. « C’était la pire voiture de tout le peloton et elle possédait le moteur turbo le moins puissant de tous. Malgré cela, la puissance du moteur était extrêmement brutale. Il n’y avait rien, puis toute la cavalerie, à peu près 900 chevaux, arrivait d’un coup. Le temps de réponse était très long. Je devais piloter par anticipation. Ces voitures généraient un effet de sol incroyable. Je sautais de la F3 à la F1 et ça m’a vraiment stupéfait. Quand je roulais seul en piste, ça allait. Mais quand je me retrouvais derrière d’autres voitures et leurs turbulences, je perdais la direction et les freins. C’est comme s’ils n’existaient plus. Je tournais le volant et la voiture allait tout droit. Je freinais et la voiture filait tout droit. C’était très impressionnant, surtout quand ça survenait juste avant la chicane. »
Il continue à raconter son expérience : « Il y avait tellement d’appui aérodynamique que lever le pied de l’accélérateur équivalent à faire un freinage d’urgence dans une très bonne voiture sport. Lors de chaque changement de vitesses, ma tête partait vers l’avant. La boîte de vitesses était très robuste et le levier était difficile à manipuler. Monter les vitesses était ok, mais rétrograder était complexe. Les freinages étaient tellement courts et brutaux qu’il était vraiment difficile de passer les vitesses suffisamment vite. Il fallait parfois que je saute des rapports ; au lieu de faire 5-4-3-2, je faisais 5-2 pour que ça se fasse plus vite » explique-t-il.
Berg, en sueur, se qualifie au 25e rang sur 26 pilotes, plus vite que Huub Rothergater sur une Zakspeed, mais tout de même à 10”381 de la pole d’Ayrton Senna. « Nous avions des pneus de qualification qui duraient à peine un tour de piste. Pour bien se qualifier, il fallait trouver de l’espace en piste et parvenir à faire un tour parfait sans être gêné par d’autres voitures » ajoute-t-il.
Peu après le départ, Berg se bat contre Derek Warwick (qui a dû effectuer un arrêt à son puits peu après le départ), Giancarlo Ghinzani et Andrea de Cesaris. Après 28 tours de manège, le moteur coupe net après une panne électrique. Son Grand Prix est terminé.
« Auparavant durant ma carrière, j’avais toujours été compétitif et piloté de bonnes voitures, que ce soit en Formule Atlantique ou en F3. Avec l’Osella, je devais apprendre à rouler en retrait et à gérer le trafic. Je ne voulais surtout pas gêner un autre concurrent. Je voyais mes héros que j’admirais à la télé dans mes rétroviseurs. En à peine 10 jours, je suis passé de celui qui rêvait de disputer son premier Grand Prix à celui qui ne voulait surtout pas ruiner la course d’un Prost, Mansell ou Senna ! » termine Berg qui veille maintenant sur la carrière de son fils Alex.