Avant l’ajout de deux chicanes en 1990, atteindre une vitesse maximale sur la fameuse ligne droite des Hunaudières lors des 24 Heures du Mans était fondamental. En effet, les bolides roulaient à fond de train sur cette route (presque) rectiligne, la NR138, devenue la D338, sur une distance de près de six kilomètres.
En 1961, Maserati brise le mur des 280 km/h. La marque des 300 km/h est battue en 1963 par la Ferrari 330 LM. En 1971, la Porsche 917 à "queue longue" roule à la vitesse de 100 mètres par seconde, soit 362 km/h, sur cette ligne droite.
À la fin des années 60, deux ingénieurs de Peugeot, Gérard Welter et Michel Meunier, créent une petite écurie de course, WM. Welter est un concepteur de génie qui dessinera plus tard la silhouette de la fameuse Peugeot 205 de route. Au milieu des années 70, l’écurie WM, formée d’un petit groupe de bénévoles passionnés, engage ses premières voitures aux 24 Heures du Mans.
En 1986, ils créent le “Projet 400”, une évolution de leur voiture existante, propulsée par un moteur V6 Peugeot. Si le châssis en aluminium de cette P87 demeure à peu près inchangé, la carrosserie à très faible traînée aérodynamique est toute nouvelle. Car Walter et Meunier ont un objectif en tête : celui de concevoir la voiture qui réalisera la vitesse maximale la plus élevée sur la ligne droite des Hunaudières durant un week-end officiel des 24 Heures du Mans et de fracasser, si possible, la barre des 400 km/h.
Pendant les quatre mois de l’hiver 1986/87, l’équipe WM passe tous ses dimanches à travailler dans la soufflerie de St-Cyr L’École, le tout financé par Peugeot. Elle crée une carrosserie élargie qui permet de caréner presque intégralement les roues avant et d’enfermer complètement les gros pneus arrière, générateurs de traînée.
La P87 génère de l’effet de sol. L’empattement est allongé afin de concevoir des tunnels venturi allongés. Le bouclier avant et l’aileron arrière ne servent qu’à équilibrer l’attitude aérodynamique du bolide. Le moteur PVR ZNS5 Peugeot est un V6 ouvert à 90 degrés d’une cylindrée de 2,8 litres avec quatre soupapes par cylindre et gavé par deux turbos Garrett. Tournant à 8300 tours/minute, ce V6 issu de la production produit la puissance respectable de 850 chevaux.
Des ennuis de gestion électronique du moteur perturbent toutefois les essais de la P87. Lors des essais privés tenus avant les 24 Heures du Mans de 1987, la WM P87 a atteint la vitesse de 356 km/h sur la ligne droite. Quelques jours plus tard, l’équipe française est autorisée à tester sa P87 sur une section de l’autoroute A26 (l’autoroute des Anglais) qui n’est pas encore ouverte à la circulation entre St-Quentin et Laon, dans le nord de la France. Le bolide atteint cette fois à 416 km/h avec François Migault au volant. Ensuite, la P87 est testée sur plus de 1000 km sur le circuit du Mans-Bugatti puis sur la piste d’essais de Michelin à Clermont-Ferrand.
L’épreuve du Mans de 1987 est marquée par la fourniture d’une essence de mauvaise qualité par les organisateurs. Le moteur Peugeot expire après 13 tours, et sa meilleure vitesse maximale enregistrée n’est que de 381 km/h.
Une nouvelle voiture pour 1988
Pour l’édition de 1988, la petite équipe crée une P88 en améliorant le profilage de la carrosserie réalisée par Heuliez, agrandissant les tunnels venturi, améliorant la cinématique des suspensions et disposant d’un moteur d’une cylindrée accrue à 2,9 litres et qui développe cette fois 910 chevaux.
WM se présente au Mans avec deux bolides : une P87 améliorée et une P88 toute neuve. Durant les essais, la P88 est captée à 387 km/h par le radar officiel de l’ACO (l’organisateur de l’événement). Toutefois, les deux voitures WM rencontrent des ennuis techniques qui doivent être résolus. De plus, on demande aux organisateurs de changer de radar. Celui utilisé provient de la police et peut enregistrer des vitesses allant jusqu’à 420 km/h, mais il est affecté par les vibrations et le bruit générés par les bolides de course.
L’équipe effectue sa tentative de record lors d’une séance de qualification tenue en soirée, quand l’air devient plus frais et génère moins de traînée. Le pilote de la P88, Roger Dorchy, prend la piste et hausse graduellement le rythme. Il effectue plusieurs passages à 397-398 km/h.
Le responsable du nouveau radar officiel de l’ACO contacte l’écurie et leur révèle qu’il manque deux ou trois kilomètres/heures pour inscrire le record. L’équipe demande donc par radio à Dorchy de hausser la pression de suralimentation. À 20h46, le nouveau radar capte la P88 à la vitesse de 407 km/h. Par contre, l’équipe, qui dépend beaucoup de Peugeot, a, semble-t-il, fait rectifier ce chiffre à 405 km/h, ce qui coïncidait (mystérieusement…) avec l’appellation de la toute nouvelle Peugeot de route, la 405. Réalité ou légende ? Personne ne désire vraiment le confirmer ou le nier.
Si la P88 était rapide en ligne droite, elle n’a jamais figuré parmi les plus rapides sur un tour. « La voiture générait peu de traînée, mais aussi peu d’appui aérodynamique » explique Vincent Soulignac, un des ingénieurs WM à cette époque.
Puisque deux chicanes ont été ajoutées à la ligne droite des Hunaudières en 1990, ce record de 405 km/h ne sera probablement jamais battu.