Grâce aux efforts consentis par l’organisation du Grand Prix du Canada, de partenaires financiers et de Gaston Parent, Jacques Villeneuve, le frère de Gilles, a roulé à bord d’une voiture de Formule 1 dans le but de disputer son Grand Prix national en 1983.
Cette année 1983 marque un changement majeur dans la conception des monoplaces de F1. Après les terribles accidents survenus la saison précédente, notamment à Gilles Villeneuve et à Didier Pironi, la FIA a interdit l’effet de sol et imposé des fonds plats aux voitures de F1. L’appui aérodynamique a donc chuté de près de 50% et les bolides sont devenus beaucoup plus difficiles à piloter.
En 1983, Jacques Villeneuve court en série Can-Am aux commandes d’une Frissbee GR3-Chevrolet commanditée par la chaîne de magasins Canadian Tire. La saison a débuté le 5 juin sur le circuit de Mosport Park en Ontario. Oncle Jacques a déroché la victoire au terme de la course de 60 tours, devançant le Britannique Jim Crawford aux commandes d’une Ensign N180B-Cosworth ; une ancienne voiture de F1 modifiée et carrossée.
Après la course, Villeneuve revient chez lui à St-Cuthbert et reçoit un appel qui confirme qu’il sera au volant d’une RAM March 01 à moteur Ford Cosworth DFV de l’écurie RAM Automotive Team March au Grand Prix du Canada qui sera présenté le week-end qui vient. La toute petite écurie RAM March appartient à deux personnages sulfureux dans le monde de la F1, John Macdonald et Mike Ralph, des grands amis de Bernie Ecclestone. Cette petite écurie privée a racheté le matériel de l’écurie officielle March qui a quitté la F1 fin 1982.
La RAM March 01, chaussée de pneus Pirelli, n’est pas une grande réussite. Privée d’appui aérodynamique suffisant, elle empêche ses pilotes, Eliseo Salazar et Jean-Louis Schlesser, de se qualifier, car incapable de faire chauffer ses pneus. Pour le Grand Prix canadien, Macdonald et Ralph encaissent les 65 000$ versés par Canadian Tire, Avis et Ventaire pour placer Oncle Villeneuve au volant.
Des essais privés à Mosport
Les deux RAM March sont expédiées à Toronto, puis prennent la route du circuit de Mosport Park afin de permettre à Villeneuve d’effectuer des essais. Les mécanos de l’écurie dérèglent la monoplace afin de voir comment Villeneuve va s’en sortir. Jacques détecte vite les problèmes et se met au travail avec l’ingénieur David Kelly. Les essais sont toutefois perturbés par la présence de… marmottes sur la piste ! Villeneuve en percute deux, détruisant chaque fois les volets de l’aileron avant qui doit être changé à deux reprises.
Une fois les essais compétés, Villeneuve et l’écurie prennent la direction de Montréal. Le vendredi du Grand Prix, la RAM March de Villeneuve est l’attraction de la ligne des puits. Dès qu’elle revient dans les puits, la monoplace blanche est entourée d’une nuée de journalistes et de photographes.
Jacques conduit fort bien, mais se retrouve à 2”305 du chrono nécessaire pour se qualifier. Il souligne aux journalistes que sa voiture n’a aucune adhérence, car les pneus Pirelli ne montent qu’à 40 degrés seulement, alors qu’il en faut le double pour qu’ils collent vraiment.
En soirée, les mécanos installent un moteur Cosworth frais dans la voiture, assouplissent les suspensions et braquent un peu plus l’aileron arrière dans le but de mieux faire chauffer les pneus. Lors des essais libres du samedi matin, Villeneuve améliore ses temps de 3”165 et réalise le 23e meilleur chrono. Les membres de l’équipe commencent à sourire.
Il fait très chaud en après-midi quand démarre la deuxième et dernière séance de qualification [car il y en avait deux à cette époque]. Villeneuve s’élance et signe un temps de 1’35”223, beaucoup plus lent que le matin. À 15 minutes de la fin, il prend à nouveau la piste avec son deuxième train de pneus neufs. Tout le monde y croit et retient son souffle. Mais non.
Mauro Baldi est 26e et dernier qualifié à bord de sa Alfa Romeo 183T en 1’34”755. Jacques est 27e avec un temps de 1’35”133 (à 6”4 de la pole position réalisée par René Arnoux sur sa Ferrari 126 C2B). Jacques a raté sa qualification par seulement 0"378.
Villeneuve avoue qu’il a eu du mal à bien exploiter les pneus de qualifications ; des gommes extra tendres qui ne durent qu’un seul tour de piste. « Moi, un tour de piste pour me qualifier, c’est trop court. La clé du succès est là, dans ces pneus. Je ne peux pas faire de miracle ! » déclare-t-il.
Ce sera la dernière fois de sa carrière que Jacques pilote une monoplace de F1. Sans regret. Rencontré lors d’un banquet du musée Gilles-Villeneuve, Oncle Jacques m’avait confié : « Je n’ai jamais dit que je courrais en F1 un jour. Je n’étais pas comme Gilles [son frère]. La F1 ne me tentait pas tant que ça. Je ne me voyais pas risquer ma carrière en misant tout sur la F1. Tout allait bien ici. Je n’ai pas été assez brave ou assez fin [futé] aux yeux de bien du monde. Ma carrière allait très bien ici et je ne voyais pas aller tenter ma chance en F1 et tout risquer. Tant pis ! »
Note : La photo ci-dessus ne montre pas Oncle Jacques Villeneuve au volant de la RAM March, mais son propriétaire actuel, le richissime chirurgien Anthony Nobles, qui dispute des épreuves de voitures historiques à son volant.