Le sport automobile d’avant les années 80 était terriblement dangereux. Les courses étaient souvent organisées sur des routes fermées à la circulation, dépourvues de rails de sécurité et de grillages, bordées de maisons, d’arbres et de fossés. Il fallait être incroyablement courageux pour rouler à fond sur ces tracés aux commandes de bolides pas toujours très sécuritaires.
Le circuit de Spa-Francorchamps de 1973 est un de ces tracés qui empruntaient des routes qui reliaient les villages de Francorchamps, Malmedy et Stavelot. C’était un circuit de forme triangulaire, ultra rapide, long de 14,1 kilomètres qui fut dessiné en 1921 par Jules de Thier et Henri Langlois Van Ophem. Il fallait avoir un gros cœur pour négocier les virages à fond alors qu’il n’y avait rien pour protéger les pilotes en cas de sortie de route.
En 1973, les 1000 km de Spa-Francorchamps représentent la cinquième manche du Championnat du monde des marques. Jacky Ickx et Brian Redman réalisent la pole position à bord de leur Ferrari 312 PB. Henri Pescarolo, Gérard Larrousse et Chris Amon se qualifient au deuxième rang dans leur Matra-Simca MS670B à moteur V12 de trois litres.
En course, la bataille pour la victoire fait rage entre les Ferrari, les Mirage M6 Ford et les Matra. Les statistiques retiennent que deux Mirages ont terminé la course devant la Matra de Pescarolo/Larrousse/Amon, mais il faut souligner que le grand Henri a établi un record du tour qui n’a jamais été battu ! À la poursuite de ses rivaux, Pescarolo a réalisé un tour du circuit en 3’13”4 à la vitesse moyenne de 262,461 km/h, ce qui représente le record de vitesse moyenne sur un circuit routier.
« On avait l’habitude [de ces circuits]. C’était comme ça au Mans, à Spa ou à Clermont-Ferrand. C’étaient des routes ouvertes qu’on fermait le jour de la course. Le circuit de Spa était l’un des plus difficiles, des plus rapides et des plus dangereux aussi » nous a récemment raconté Henri Pescarolo, toujours d’une extrême gentillesse.
« Il y avait deux ou trois virages lents, mais en général c’étaient des courbes très rapides, très difficiles avec un revêtement très mauvais qu’on négociait à 300 km/h et même plus. Il n’y avait aucune protection et aucune possibilité de sortir de la route. Il y avait des maisons tout près, des fossés, des poteaux. Cela paraît très anachronique, mais c’était comme ça » ajoute-t-il.
Pescarolo à l’attaque, en lutte pour la victoire
Il est néanmoins surprenant que "Pesca" ait signé ce chrono si rapide en course et non pas durant les qualifications. « En course, tout est réuni pour ne pas réussir un très bon chrono. Quand on démarre un relais, on a des pneus neufs, mais le plein d’essence et à la fin du relais, la voiture est légère, mais les pneus sont usés. C’est donc difficile de réaliser un record du tour en course. J’ai réussi à établir ce record parce que j’étais en plein bagarre avec les autres voitures. Je ne pensais pas du tout à un record ou pas; je fonçais pour gagner, c’est tout » souligne Henri Pescarolo.
Cette fameuse Matra MS670B avec la sonorité enivrante de son V12 était-elle supérieure aux autres bolides ? « Elle possédait une tenue de route exceptionnelle, même sur des surfaces très mauvaises. Quand on négociait à fond absolu certaines courbes comme Burnenville, Malmedy et Stavelot à plus de 300 km/h sur une surface en mauvais état, il fallait une voiture aux performances très élevés et une bonne efficacité aérodynamique, mais cela ne suffisait pas, car il fallait des suspensions extraordinaires, et c’était justement le cas de la Matra. Et c’est justement sur ce point qu’on dominait les Ferrari, les Mirage, les Alfa Romeo et toutes les autres. En roulant vers Burnenville, la route était en très mauvais état, mais nous pouvions garder le pied droit enfoncé sur l’accélérateur, ce que les autres ne pouvaient pas faire, sinon ils sortaient de la route instantanément » précise Pescarolo, qui ajoute : « c’était une véritable jouissance de courir à Spa avec une voiture fantastique comme la Matra 670 ».
Le moteur V12 Matra présentait-il un avantage sur ce long circuit ? « Ah non, le moteur n’était pas meilleur que le Cosworth, le Ferrari ou l’Alfa Romeo. Il avait d’ailleurs moins de couple que le Cosworth. En F1, on [Matra] n’a pas été aussi bon qu’on aurait dû l’être, car les circuits de F1 n’étaient pas rapides. Ils réclamaient beaucoup de couple, et le Cosworth en possédait beaucoup plus que la Matra. C’est vraiment sur la tenue de route qu’on dominait les autres » répond Pescarolo.
En terminant, le grand Pescarolo nous fait mieux comprendre l’importance de son record du tour. « Ce record ne sera jamais battu puisque le long circuit de Spa n’existe plus » rappelle-t-il.
« C’est toutefois le record de vitesse moyenne la plus élevée au monde, toutes catégories confondues, toutes époques confondues, réalisé sur un circuit routier, même avec des voitures de F1 de 1000 chevaux. Aucun pilote, aucune voiture n’a battu mon record qui date de 1973 et ça c’est vraiment fabuleux. C’est ahurissant quand on y pense, car la Matra n’avait que 490 chevaux. Le record a été approché par [Juan Pablo] Montoya avec une voiture de F1 à Monza, mais il n’a pas été battu. Mon record va tenir un bon bout de temps, car il n’y a plus de circuits rapides. Dès que ça va trop vite on met une chicane. Le risque n’est plus admis, nulle part, dans aucun domaine. Il ne faut pas comparer les époques » termine Pescarolo qui a toujours démontré un courage et une détermination à toute épreuve.