Le Grand Prix d’Argentine de 1980 a eu des allures de course sur glace. Pas à cause du froid, évidemment, mais parce que la piste, en très mauvais état, était glissante comme une patinoire.
Cette saison 1980 de Formule 1 débute le 13 janvier, soit juste trois mois après le dernier Grand Prix de la saison précédente, celui des États-Unis à Watkins Glen, remporté par Gilles Villeneuve sur sa Ferrari 312 T4.
Villeneuve et son coéquipier, le Champion du monde en titre Jody Scheckter, sont au volant de la nouvelle T5 ; une voiture de transition engagée avant l’arrivée prévue de la première Ferrari F1 à moteur turbo. Si la T4 était rapide et fiable, la T5 est tout le contraire. Bref, c’est une voiture ratée.
L’équipe à battre en 1980 semble bien être celle de Frank Williams. La FW07B est une excellente voiture à effet de sol. Alan Jones est bien décidé à l’exploiter au mieux pour décrocher des victoires régulières. Son coéquipier est Carlos Reutemann. L’Argentin doit se contenter du statut de second pilote, car il n’a eu d’autre choix que de signer un tel contrat après avoir quitté Lotus à la suite d’une année désastreuse.
Le Grand Prix d’Argentine, manche d’ouverture de la saison 1980, est tenu sur l’Autodromo Juan y Oscar Gálvez situé dans les faubourgs de Buenos Aires. Janvier, c’est l’été dans l’hémisphère sud et il règne une chaleur étouffante quand les essais libres commencent.
Les organisateurs ont commis une grave erreur : celle de repaver la section sinueuse du circuit seulement 15 jours avant la tenue du Grand Prix ! Après avoir effectué seulement quelques tours, les pilotes se plaignent que la piste est très glissante et offre peu d’adhérence. Pire, l’asphalte commence à s’égrener dans certains virages.
Alan Jones saute du baquet de la FW07 à celui de la FW07B et se rend vite compte que l’ancienne voiture est plus rapide, mieux équilibrée et possède plus de grip. Frank Williams prend la décision de faire modifier les deux FW07B en version 07 de 1979 ; un travail titanesque que les mécanos terminent à trois heures du matin samedi.
Sur cette patinoire, Jones réalise la pole position devant Jacques Laffite et Didier Pironi sur les Ligier JS11/15-Ford, Nelson Piquet sur une Brabham BT49-Ford et les Lotus 81-Ford d’Elio de Angelis et de Mario Andretti. Gilles Villeneuve est huitième. Une fois la qualification terminée, les organisateurs tentent désespérément de réparer la surface de la piste qui part en morceaux.
Des réparations inutiles
Dimanche le 13 janvier, jour de la course, il fait encore effroyablement chaud. Durant la séance de réchauffement (pas de la piste, mais des voitures !), le tarmac ne résiste pas au passage des voitures chaussées de pneus très tendres. L’asphalte se désagrège et la piste se couvre de gravillons et de boules de goudron. Rouler à l’extérieur de la trajectoire signifie une perte d’adhérence instantanée.
Plusieurs pilotes vont se faire piéger durant la course de 53 tours, et pas les moindres…
Au feu vert, Jones démarre correctement et mène la course. Villeneuve rate un freinage et chute au 12e rang. L’Australien se sauve en tête tandis que Piquet et Laffite se bagarrent pour la deuxième place.
Au 13e tour, Jones commet une erreur et effectue une excursion dans le gazon qui l’oblige à stopper à son puits pour y faire retirer un sac de plastique qui fait chauffer son moteur Cosworth DFV.
Les spectateurs ne sont pas impressionnés par le spectacle qui leur est offert. Les pilotes roulent près de 12 secondes plus lentement qu’en qualification et doivent négocier les virages presqu’à l’arrêt sous peine d’effectuer un tête-à-queue.
Laffite se retrouve en tête, mais derrière lui commence une belle bataille mettant aux prises Jones, Piquet et Villeneuve. Jones effectue une autre escapade hors-piste, mais parvient à vite revenir en piste. Il double Laffite au 30e tour et reprend la commande. Puis, le moteur Cosworth de la Ligier casse, ce qui fait monter Villeneuve au second rang.
Au 37e tour, une billette de direction casse sur la T5 de Villeneuve qui sort de piste et abandonne. Jones mène donc devant Piquet. Mais l’Australien se fait piéger une autre fois sur cette patinoire. Il revient en piste sans perdre une place. Il change de vitesses à 9000 tours/minute au lieu de 11 000 afin de préserver son moteur qui chauffe toujours, ce qui permet à Piquet, deuxième, de revenir sur lui.
Les moteurs de la Williams et la Brabham surchauffent tous les deux, et leurs pilotes tentent au mieux de ne pas rouler trop vite. Piquet commet lui aussi une petite faute et effectue un peu cross-country durant un court moment.
Le drapeau à damier est (enfin) agité devant Alan Jones qui remporte la victoire. Piquet se classe second devant l’étonnant Keke Rosberg sur une modeste Fittipaldi F7-Ford. C’est une sixième victoire en carrière pour Jones et un premier podium pour Piquet et Rosberg. Un jeune pilote français réalise l’exploit de se classer sixième à son premier Grand Prix : il s’agit d’Alain Prost qui était aux commandes d’une McLaren M29-Ford.