NASCAR se plait à prétendre que les écuries en série Cup sont équilibrées à tel point qu’au moins dix pilotes jouent la victoire à chaque course. Cette déclaration est soutenable si vous prenez en compte que ces principales écuries engagent deux ou trois pilotes qui visent titres et victoires à l’image de Larson et Elliott chez Hendrick, trois pilotes chez Penske, trois chez Gibbs et un chez Stewart-Haas Racing. Au total, ces pilotes de grosses équipes ont remporté respectivement 34, 29 et 32 courses Cup en 2018, 2020 et 2021.
Il est vrai aussi que des écuries avec plusieurs voitures bénéficient d’une synergie technique, à l’atelier comme à la piste, pour la mise au point des voitures comme au point de vue stratégique au fil de la course. Cette multiplicité n’explique cependant pas tout, comme par exemple les multiples titres individuels de Richard Petty (7), Dale Earnhardt (7), Jimmie Johnson (7) et Jeff Gordon (4). À l’inverse, on comprend moins bien le peu de titres remportés par des pilotes à valeur égale, comme les deux petits titres de Kyle Busch ou de Tony Stewart, ou les championnats uniques des Joey Logano, Brad Keselowski, Kurt Busch ou encore Kevin Harvick.
Les ères victorieuses des Petty, Earnhardt, Gordon et Johnson (tous deux en lutte sur la photo ci-dessus, en 2013) sont dues en plus grande partie à l’efficacité de la communication et la compréhension parfaite entre le personnel clé de chaque voiture dominante. Cette efficacité commence au niveau du pilote et du chef d’équipe et s’étend à tous ceux qui touchent de près ou de loin à la voiture.
Les communications internes étaient déjà bonnes à l’ère de Richard Petty et de Dale Earnhardt père. Cependant, l’arrivée en 2001 de Matt Borland comme chef d’équipe pour Ryan Newman chez Penske a précipité une révolution tranquille chez NASCAR, où la grande majorité des chefs d’équipe et techniciens valeureux mais empiriques ont été graduellement remplacés par des ingénieurs familiers avec les outils technologiques et les méthodes d’analyse du comportement de la voiture et des problèmes en course.
Toutes les grandes équipes savent quoi faire et le font au meilleur de leurs connaissances. Et voilà la différence : les meilleurs font tout de mieux en mieux. Outils, analyses, formation du personnel, communications, vérification et qualité du travail, zéro tolérance d’erreurs, bien comprendre les défauts ou symptômes avant de se lancer dans les solutions éprouvées (pas d’improvisation!), et ne jamais laisser quelque chose sur la table forment le quotidien.
Gagner un titre est simple au niveau théorique : ne rien ménager pour devenir le meilleur à la piste, durant la course et à l’atelier, et… trouver le budget pour le faire !
Pour la petite histoire, voici les profils des succès notoires des 5 plus grandes équipes et pilotes en NASCAR Cup :
Petty Enterprises / Richard Petty / Dodge
Cette équipe familiale fondée par Lee Petty, le père de Richard et un pilote féroce en piste comme au bureau, a formé un noyau en ajoutant Maurice Petty, le frère de Richard et motoriste émérite qui a dominé le sport avec ses préparations du "vrai" moteur Chrysler Hemi, et Dale Inman, un cousin de Richard et le chef d’équipe, avec plus de 200 victoires à son actif, le record. Cela place cette structure loin devant Leonard Wood avec 83 victoires et Chad Knaus avec 82. Avec sept titres, la famille Petty a su dominer de 1964 à 1979 avant que l’âge et la technologie ne viennent réduire la compétitivité de l’équipe.
Richard Childress Racing / Dale Earnhardt père / Chevrolet
Les clés du succès de cette équipe demeurent simples : des équipiers compétents à l’atelier comme à la piste qui faisaient rarement des erreurs, le support considérable de la part de Chevrolet pour leur pilote favori, et un pilote féroce en piste qui a aussi découvert les effets de l’aérodynamique. On vantait son habilité à "voir" les flux aérodynamiques et à en prendre avantage pour déstabiliser et doubler l’adversaire. Le grand pilote a aussi mis au point la technique du "bump and run", alors qu’il donnait une petite poussette au pilote devant lui pour le déstabiliser et le doubler sans l’avoir envoyé dans le mur. Après un premier "bump and run", Dale poussait le pilote en question vers le mur si ce dernier ne le laissait pas passer. Aujourd’hui, NASCAR tolère la manoeuvre lors des derniers tours de piste si le pilote qui frappe est nettement plus rapide que la cible. Éprise des solutions plus complexes et avec des voitures plus fragiles, la F1 accomplit le même effet à l’aide du Drag Reduction System (DRS) qui met l’aileron arrière du poursuivant en drapeau pour lui donner plus de puissance et l’aider à doubler le poursuivi... Féroce en piste, Dale Sr était discret, chaleureux, drôle et généreux en privé, gardant toujours sous couvert ses contributions aux œuvres charitables. Enfin, il a pris sans en parler le jeune Jeff Gordon sous son aile, assez pour que Gordon devienne champion à répétition de la série Cup deux saisons après la disparition du grand pilote.
Hendrick Motorsports / Jeff Gordon et Jimmie Johnson / Chevrolet
Rick Hendrick possède un flair peu commun pour détecter le potentiel chez un jeune pilote et l’entourer de personnel technique compétent. Marier Jeff Gordon, un jeune pilote de Sprint Car sur la terre, avec un ingénieur et pilote de modifiés sur pavé (Ray Evernham) a produit trois des quatre titres de Gordon. Le départ de Ray Evernham vers Chrysler en 2001 pour y gérer le retour de la marque en NASCAR a certainement limité les succès de Gordon par la suite, incapable de trouver un chef d’équipe avec l’imagination, le leadership et les connaissances techniques d’Evernham. Pour sa part, Gordon possède toujours ces mêmes qualités qu’il a appliqué à sa retraite comme analyste à la télévision et maintenant comme administrateur clé de l’empire de Rick Hendrick... De son côté, après un apprentissage sur la glisse dans le désert et sur les petits ovales californiens, Jimmie Johnson démontre un talent qui pousse Rick Hendrick à créer en partenariat une équipe pour le jeune pilote et un chef d’équipe prometteur, Chad Knaus. La mayonnaise prend et le duo remporte cinq titres ensemble avant que la magie ne disparaisse et que Johnson ne passe à l’indyCar en 2021. À leur meilleur, le pilotage de Johnson, les décisions de Knaus et le travail des équipiers en course comme à l’atelier dominait le reste du peloton saison après saison, de 2006 à 2010.
Joe Gibbs Racing / Tony Stewart, Kyle Busch et Martin Truex Jr / Chevrolet puis Toyota
L’équipe de Joe Gibbs, associée de près à Toyota depuis quelques saisons, a connu plusieurs succès avec deux types de pilotes. Tony Stewart et Kyle Busch, des super talents pas faciles à gérer avec leur manque de maturité en début de carrière. Tony Stewart frappe par exemple tout ce qui bouge en piste à ses débuts, et vire son chef d’équipe Darien Grubb (23 victoires au total) au lendemain de son premier titre, en 2011. L’autre ado, Kyle Busch, empile les victoires (59 en Cup en fin de saison). Par contre, il se plaint en public de son insatisfaction avec la voiture et les décisions du chef d’équipe, et doit travailler avec un nouveau chef d’équipe presque chaque saison, ce qui nuit à ses performances et le limite à seulement deux titres en Cup malgré le plus gros talent en piste de 2003 à 2020.
Team Penske / Brad Keselowski, Joey Logano / Dodge puis Ford
La réputation de Roger Penske et de ses diverses activités en course n’est plus à faire, avec les 597 victoires, 657 poles et 41 titres accumulés dans tous les types de course auxquelles ses équipes ont participé et gagné… souvent depuis 1965. Aujourd’hui, Team Penske fait partie de l’élite en série NASCAR Cup où elle représente les intérêts de Ford, avec qui l’équipe a remporté le titre en série Cup avec Brad Keselowski en 2012 et Joey Logano en 2018. L’équipe n’a cependant jamais dominé en NASCAR comme ils ont pu le faire en IndyCar (née USAC) de l’époque avec Rick Mears, Al Unser Jr, Paul Tracy, en série Can-Am avec les Porsche 917 et 930 de Mark Donohue et George Follmer, en NASCAR avec le même Mark Donohue et Bobby Allison, et en TransAm sur Camaro et Javelin avec encore Donohue et une brochette de pilotes dont le méconnu Craig Fisher de Toronto… L’équipe avait certes 3 pilotes dans les 8 derniers prétendants au titre cette année mais elle ne domine pas comme à l’époque de Mark Donohue, ingénieur et pilote qui a aidé l’équipe à accumuler un record éclatant de victoires de 1966 à 1975, l’année de son décès suite à un accident en Formule 1. En NASCAR, Penske place de nos jours ses espoirs sur Ryan Blaney, mais il manque encore une touche magique aux postes clés de l’équipe pour se trouver une niche bien ancrée au sommet, comme un Kyle Larson ou un Chad Knaus, et le support plus poussé de Ford.
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