Le docteur Jacques Dallaire a concocté et supervisé l’entraînement physique et la préparation mentale de plusieurs centaines de coureurs automobiles professionnels et amateurs. Ses immenses connaissances lui permettent de brosser un portrait juste des pilotes de Formule 1 modernes.
Le docteur Jacques Dallaire* a reçu un doctorat en physiologie de l’exercice de l’université d’Alberta en 1979, a enseigné à l’université McGill à Montréal et il est aujourd’hui le président de Performance Prime. Au cours des quarante dernières années, il a collaboré et conseillé plus de 750 coureurs automobiles de haut niveau ainsi que des milliers d’athlètes et d’individus de haut niveau, provenant d'une multitude de sports et de professions, y compris des forces de l'ordre, de l’univers du spectacle et du monde des affaires. La photo ci-dessus montre le Dr Dallaire en compagnie d'Ayrton Senna en 1984.
En 2007, il a été intronisé au Temple de la renommée du sport automobile canadien, en reconnaissance de ses stratégies d'entraînement novatrices et de l'impact qu'il a eu sur le sport automobile.
Au début des années 80, Dallaire et des collaborateurs, professeurs à McGill, fondent le Motorsport Research Group qui conseille des pilotes tels Ayrton Senna, Nigel Mansell, Gerhard Berger, Jacky Ickx et Emerson Fittipaldi sur leur préparation physique et psychologique. Par la suite, établi aux États-Unis, Dallaire élargit sa clientèle, conseillant des professionnels qui travaillent habituellement sous haute pression.
Quelle faculté caractérise les meilleurs coureurs automobiles, que ce soit de Formule 1, d’IndyCar, d’endurance ou de NASCAR ? « Même s’ils n’ont habituellement pas fait de grandes études, les coureurs automobiles de haut calibre sont des gens incroyablement intelligents, ultra compétitifs et dotés de processeurs centraux ultra rapides [une traduction du terme “central processors”] » m’explique Dallaire lors d’un récente interview.
« Selon moi, un très bon pilote est un individu qui est capable de traiter énormément d’information beaucoup plus rapidement que d’autres. Cette personne apprend plus rapidement, réfléchit à très haute vitesse et prend des décisions en un instant. Cette faculté caractérise les coureurs automobiles, mais aussi, par exemple, les pilotes d’avions de combat et les militaires de forces spéciales » poursuit-il.
Il ajoute que ces individus sont dotés d’une formidable force de concentration, et que leur habileté à ne pas être facilement distraits est essentielle. « Un excellent pilote est capable d’axer son esprit sur les tâches à accomplir et ce, malgré la pression. La force mentale [une traduction de “mental toughness“] est l’habilité à déployer son foyer d’attention sur les bonnes choses, aux bons moments ; en d’autres mots, d’être totalement immergé dans la tâche à exécuter. Et ce, surtout quand les choses commence à aller de travers. Cela s’applique à tout le monde : coureurs automobiles, chirurgiens, contrôleurs aériens, musiciens, pilotes d’avions de chasse, athlètes olympiques, traders à la bourse, policiers, etc. »
Dallaire explique que ses propos reposent sur l’analyse du profil de milliers de clients. « J’ai collaboré avec plusieurs centaines de pilotes de tous les horizons, de Formule 1, une centaine de pilotes d’IndyCar, une centaine de pilotes de NASCAR, ainsi que d’IMSA, d’endurance, de SCCA et d’autres catégories. Je peux vous assurer que tous ces pilotes sont en fait le même animal qui ne fait que conduire des engins différents. Ils ne sont pas vraiment différents d’agents de forces spéciales ou de chirurgiens ultra spécialisés. Tous réfléchissent de la même façon. Ce qu’ils accomplissent physiquement est très différent, mais leurs cerveaux fonctionnent à peu près de la même façon. Ces individus sont tous contrôlés par les mêmes processus cognitifs** [une traduction de “tought processors] et sont tous sabordés par les mêmes processus cognitifs. Et les façons leur permettant d’optimiser leur performance est dissimulée dans les mêmes processus cognitifs. »
En d’autres mots, un très bon pilote fait le vide autour de lui, se concentre à 100% sur sa tâche, et est peu, ou pas, perturbé par des facteurs externes.
Un métier qui a évolué
Nous savons tous que la Formule 1 a énormément changé et évolué au cours des 40 dernières années. Les voitures de F1 sont devenues plus rapides, moins physiques à conduire, davantage robotisées et le pilotage est désormais disséqué par la télémesure et l’acquisition informatique de données. Si les bolides ont été transformés, les pilotes, eux, ont-ils évolué ?
« Disons qu’en comparaison aux années 70 et 80, la tâche du pilote de F1 a beaucoup changé, mais c’est comme comparer des pommes à des oranges » souligne Dallaire. « Le pilote moderne ne fait pas que conduire : il doit être un excellent opérateur d’ordinateur et être capable de gérer plusieurs actions. L’équipe dit au pilote quoi faire et le pilote doit exécuter cette tâche sans commettre d’erreur. Mais attention : le focus d’attention était aussi crucial dans le passé. »
Il poursuit son analyse : « Le pilote de F1 moderne doit effectuer du travail multitâche. Il y a 30 ou 40 ans de cela, le pilote n’avait qu’à porter son attention sur son pilotage : tourner le volant, appuyer sur les pédales et déplacer le levier de vitesses. S’il rencontrait un ennui technique, il devait le résoudre seul. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’emphase sur la voiture et moins sur le pilote. Tous les pilotes de F1 sont très bons, mais la voiture fait une grosse différence. Sont-ils tous au niveau de [Max] Verstappen ou de [Lewis] Hamilton ? Non. Ces deux-là sont dans un monde différent. Oui, le pilote joue encore un rôle important, mais celui que joue la voiture l’est plus encore. »
« Les pilotes d’hier étaient exceptionnels et ceux d’aujourd’hui le sont aussi, mais chaque époque exige des habilités différentes. Selon moi, les grands pilotes d’hier auraient du mal à réussir à bord d’une F1 moderne, car ce n’est plus du tout le même monde. Auparavant, c’était une question de feeling et de contrôle de la voiture. Aujourd’hui, c’est une affaire de gestion de la mécanique et de l’électronique. »
Autrement dit, l’ancien sport automobile était physique, tandis qu’il est nettement plus mental aujourd’hui. Le pilote moderne doit respecter le plan de match établi par son écurie et observer à la lettre les consignes qu’on lui transmet. Oui, le sport automobile a bien changé.
* Dans la prochaine édition du magazine Pole-Position, le docteur Jacques Dallaire nous racontera les débuts des études médicales et physiologiques effectuées à l’université McGill de Montréal, premier centre d’évaluation de la condition des pilotes. Pour en savoir un peu plus : https://www.performanceprime.com/
** Les processus cognitifs sont les différents modes à travers lesquels le cerveau traite l'information en y répondant par une action.