Triple Champion du monde de Formule 1, le Brésilien Ayrton Senna a toujours conservé une place de choix dans son cœur pour le karting. C’est en effet en karting qu’il a débuté en sports mécaniques et il a fortement apprécié ses luttes roues-contre-roues contre les meilleurs pilotes internationaux à l’époque où il participait au Championnat du monde de la spécialité.
À l’occasion du Grand Prix F1 du Canada en 1991, j’ai pu discuter avec Senna de ses années en karting. Il m’avait offert ce privilège à cause de notre relation qui datait de 1984 alors qu’il était venu faire évaluer sa condition physique à l’université McGill et que nous avions préparé son programme d’entraînement physique et psychologique. J'aurai l'occasion de parler de ce groupe de recherches médicales dans la prochaine édition du magazine Pole-Position.
Déjà en 1984, je voulais débuter en sports mécaniques et il m’avait confié comment il avait apprécié le karting. « Ne commence pas par de la monoplace comme de la Formule 1600. C’est beaucoup mieux par le karting » m’avait-il déclaré. « Un kart est simple, rapide et peu cher. Les courses de karting sont incroyablement intenses. À la moindre petite erreur de pilotage, deux, trois et parfois quatre adversaires te doublent. Il faut être rapide et commettre très peu fautes. C’est du pilotage pur : pas d’électronique, pas de politique, pas de grosse équipe d’ingénieurs qui décident de tout. C’est toi et la machine. »
Né à Sao Paulo au Brésil le 21 mars 1960, Ayrton Senna n’est âgé que de quatre ans quand il grimpe pour la première fois dans un petit kart à moteur de tondeuse que son père lui a fabriqué. Puis, il découvre une véritable machine de compétition, mais Ayrton est trop jeune pour posséder une licence. Il se contente de rouler seul, souvent sur la piste d’Interlagos à Sao Paulo, et particulièrement lors des jours de pluie où il affine son pilotage.
À neuf ans, il participe à sa première course tenue sur un terrain de stationnement à Campinas. Les places sur la grille de départ sont tirées au hasard. Il décroche la pole position, mais est victime d’un accident en course qui le force à abandonner.
« J'ai donc débuté la vraie compétition à l'âge de 13 ans. C'était avec un kart à moteur de 125cc, sans boîte de vitesses, en classe junior » de dire Senna à propos de ses débuts en karting. Trois ans plus tard, en 1976, Senna fait ses débuts en classe 100cc Inter et devient le pilote de différents constructeurs de châssis brésiliens.
À cette époque, Ayrton doit mettre la main à la pâte. Inlassablement, il démonte, puis remonte ses karts en essayant d'améliorer leurs performances. « Nos possibilités étaient toutefois très limitées » souligne-t-il. « Nous devions tout faire nous-mêmes avec l'aide des gens et amis de notre entourage, et avec peu de moyens. Aujourd'hui [en 1991], lorsqu'on regarde la Formule 1, cela nécessite des structures énormes, le soutien d'entreprises majeures et beaucoup de techniciens. C'est la contribution de chacune de ces personnes qui nous permet maintenant de gagner. »
En 1977, Senna devient champion sud-américain et termine second au Championnat du Brésil. L'année suivante, Ayrton Senna Da Silva (son patronyme complet) débarque en Europe pour la première fois. Il arrive en Italie où il effectue un essai avec la firme DAP des frères Parilla. Pour la somme de 6500$, il loue un kart, des moteurs, des carburateurs, des pneus et des mécanos pour participer à la Coupe du monde disputée sur la piste Maison Blanche au Mans (qui deviendra quelques années plus tard la piste ... Alain Prost).
Senna accomplit un excellent boulot. Il décroche la sixième place au classement final et dispute avec Corrado Fabi le cœur du public français. Son pilotage est hyper spectaculaire. Il conduit presque tout le temps d’une seule main, la gauche, tandis qu’il manipule les vis de réglage du carburateur avec la droite. Les karts, qui possèdent des voies étroites à cette époque, négocient facilement les virages sur les deux roues extérieures. Senna freine violemment, bloquant l’essieu arrière de son kart, tout en plaçant sa machine dans le bon angle pour négocier le virage.
« En Europe, lors de ma première course en Italie, j'étais pilote pour la DAP » continue Senna. « Je suis resté fidèle à la DAP jusqu'à la fin de ma carrière de karting en Europe ».
Lors de ses deux participations suivantes au Championnat du monde de karting, Senna se casse les dents face à deux pilotes hollandais passablement coriaces en plus d’être victime d’accrochages qui lui font perdre beaucoup de points. Il connaît aussi des problèmes mécaniques aux mauvais moments et doit se contenter du second rang. En 79, à Estoril, il est le dauphin de Peter Koene. L'année suivante, à Nivelles en Belgique (voir la photo ci-dessus), Senna casse son moteur durant les qualifications et doit prendre le départ de chaque manche en queue de peloton. Le bouillant Brésilien termine à nouveau second, cette fois derrière Peter de Bruyn. « Ces deux occasions, j'ai connu des problèmes de moteurs lors des finales. J'ai perdu ces titres de très peu... ».
« C'était difficile. Très difficile » se rappelle-t-il avec un sourire nostalgique, « car le désir de vaincre était déjà présent en moi comme il l'est toujours aujourd'hui. J'étais complètement dédié au sport à ce moment. C'était ardu, mais agréable à la fois. »
« En fait, selon moi, il faut débuter par le karting. Le karting est la meilleure école pour devenir un coureur automobile car on y apprend tous les principes de la course. C'est un sport abordable, qui n'est finalement pas très cher. On peut vraiment y démontrer tout son potentiel. C'est la meilleure façon d'approcher le monde de l’automobile, aussi bien d'un point de vue technique qu’économique. Par la suite, on peut songer à passer à l’automobile, mais il y a une différence au niveau du style de pilotage. Il y a également une différence au niveau de la vitesse. Toutefois, même si on apprend la base de la course en karting, il faut réajuster son approche et son style lorsqu'on pilote une voiture de course. Si ton pilotage n’est pas souple ni coulé à ce niveau, ce sera difficile et peut-être te batteras-tu contre la voiture ».
Ayrton Senna avait connu les karts de compétition de la fin des années 70. Quelle était son opinion des karts plus modernes ? « Oui, j'en ai essayé quelques-uns. Pas des karts européens, mais chez moi avec des karts brésiliens. Ils sont plaisants et agréables à conduire, mais pas très rapides. Lorsqu'on est habitué à rouler à 300 km/h et qu'on se retrouve à 120 ou 130 km/h, on ne ressent pas vraiment la vitesse de pointe. Mais dans les virages, on sent bien les accélérations, car les karts sont légers, nerveux, et virent très rapidement. Cela demeure toutefois un “feeling” différent du pilotage d’une automobile ».
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