Le Team Lotus, dirigé par Colin Chapman, a souvent innové en Formule 1. Certaines créations ont été géniales, tandis que d’autres se sont révélées être des échecs cuisants.
Voici l’histoire de l’échec de la Lotus 56B ; une monoplace de Formule 1 dérivée de la Lotus 56 qui a bien failli gagner les 500 Milles d’Indianapolis en 1968. Cette année-là à Indy, Joe Leonard semblait rouler vers la victoire aux commandes de cette Lotus STP à turbine. Malheureusement, à seulement huit tours de l’arrivée, l’arbre de la pompe à carburant a cassé net, causant l’abandon crève-cœur de Leonard.
En août 1970, Chapman annonce qu’il va donner une nouvelle vie à sa voiture d’IndyCar en la modifiant pour la rendre légale pour courir en F1. Chapman confie de travail de modification à sa minuscule équipe technique dirigée par Maurice Philippe.
Comment une turbine à combustion fonctionne-t-elle ? Elle comprime d’abord l’air ambiant, le mélange à un combustible (habituellement du kérosène), détonne le tout, ce qui fait tourner un compresseur qui active un arbre primaire relié à la transmission. Dans le cas de la Lotus F1, l’arbre primaire était connecté à un engrenage épicycloïdal réducteur de vitesse et aux arbres de transmission par l’entremise d’une chaîne Morse Hy-Vo large de deux pouces.
Petite parenthèse à propos de la différence entre cette Lotus à turbine et un véritable “Jet Car” de drag. Ce dernier emploie une turbine d’avion et c’est le souffle de cette turbine qui propulse la voiture vers l’avant. Il n’y a donc pas de transmission, car les roues ne sont pas motrices. Dans le cas de la Lotus, c’est une turbine d’hélicoptère qui fait tourner un arbre de transmission et transmet la puissance aux roues qui sont motrices.
Sur papier, la turbine d’hélicoptère de Pratt & Whitney Canada possédait de plusieurs avantages pour la F1 dont une puissance maximale de presque 600 chevaux en comparaison aux 425 du Ford Cosworth DFV, un poids 50% moindre que le Ford, ainsi que l’absence de radiateurs, d’embrayage et de boîte de vitesses. La turbine présentait aussi l’avantage indéniable de ne pas besoin avoir d’être révisée avant d’avoir atteint 1000 heures de fonctionnement.
Des avantages, oui, mais aussi des inconvénients…
Toutefois, avec l’avancement des travaux de design, ces avantages sont vite réduits à néant. Philippe doit équiper la 56B de disques de freins gigantesques aux quatre roues, car la turbine ne génère aucun frein-moteur. Pour être bien équilibrée dans les virages, la 56B doit aussi être dotée d’un système de rouage intégral. Et pour finir, la turbine STN6/76 est gourmande en kérosène et les deux gros réservoirs latéraux doivent loger 280 litres de carburant. Pire : ces 280 litres permettent à la 56B de ne parcourir que 260 km ! En théorie, elle ne peut donc compléter la distance d’un Grand Prix sans ravitailler.
Le châssis monocoque est fait de feuilles d’aluminium rivetées et la turbine est boulonnée directement à un couple situé derrière le siège du pilote. Le cockpit comprend un siège, un volant, un accélérateur, une énorme pédale de frein - mais pas de pédale d’embrayage - et cinq manomètres destinés à surveiller le fonctionnement de la turbine qui émet un sifflement strident quand elle tourne.
Dès les premiers essais en piste, Emerson Fittipaldi se bat avec un temps de réponse plutôt long ; ce qui signifie qu’il y a un long délai entre le moment où il appuie sur l’accélérateur et celui où la turbine commence à fournir sa puissance. Ce délai, jumelé au rouage intégral du bolide, oblige le pilote brésilien à modifier sa façon de conduire et d’emprunter des trajectoires innovatrices.
À court de développement, la 56B n’est pas inscrite en Grand Prix, mais à une succession de courses de F1 hors-championnats. Lors du Daily Mail Race of Champions disputé sur le circuit de Brands Hatch le 21 mars 1971, Fittipaldi se qualifie au septième rang, mais abandonne au 33e tour, un élément de suspension ayant cassé net (photo ci-dessus).
Le 9 avril lors du Spring Trophy à Oulton Park, le Suédois Reine Wisell qualifie la 56B en neuvième place, mais abandonne à cause d’une crevaison.
Le 8 mai, Fittipaldi est de retour dans la 56B au BRDC International Trophy à Silverstone. La course est présentée sur deux manches de 36 tours chacune. Lors de la première manche, une pièce de suspension casse. Les mécanos effectuent la réparation et Fittipaldi se classe troisième lors de la manche suivante. Le 13 juin à Hockenheim, la turbine de la 56B prend feu durant les essais et cause des dommages irréparables sur place. La voiture est retirée des inscrits.
Le 20 juin, la Lotus à turbine effectue (enfin) ses débuts en Grand Prix, pilotée par l’Australien Dave Walker. Parti de la 22e place sur la grille de départ, il profite pleinement du grip que lui offre sa monture sur la piste noyée par la pluie. Il est le plus rapide et double 12 rivaux durant les cinq premiers tours de la course. Peu après, il perd le contrôle de sa voiture, sort de piste et abandonne. Chapman est en furie contre lui...
La Lotus à turbine réapparaît au Grand Prix de Grande-Bretagne le 17 juillet. Reine Wisell connaît plusieurs ennuis techniques et n’est pas classé. La 56B est confiée à Fittipaldi lors du Grand Prix d’Italie à Monza début septembre. Le Brésilien se qualifie 18e et parvient à rallier l’arrivée en huitième place, un tour derrière le vainqueur, Peter Gethin.
La dernière course de la Lotus 56B est celle du championnat Rothmans de F5000 à Hockenheim le 12 septembre où Fittipaldi termine second derrière le vainqueur, Frank Gardner sur une Lola T300-Chevrolet.
Trop complexe, pataude, peu réactive et gloutonne en carburant, la 56B, construite à un seul exemplaire, est alors retirée de la circulation et prend le chemin du musée pour ne réapparaître qu’à de très rares occasions.