Grand patron du Team Lotus de Formule 1, Colin Chapman était un ingénieur obstiné et intransigeant. Sa farouche détermination à faire rouler ses Lotus 72 dépourvues d’ailerons à Monza en 1970 sera catastrophique pour le pilote autrichien Jochen Rindt.
Jochen Rindt est né le 18 avril 1942 à Mainz en Allemagne d’une mère autrichienne et d’un père allemand. Ses parents sont morts lors d’un bombardement de la ville de Hambourg lors de la Seconde Guerre mondiale. Âgé de seulement 15 mois, le petit Jochen fut pris en charge par ses parents-parents et a grandi à Graz en Autriche.
Garçon remuant, Rindt s’intéresse à tout ce qui va vite, à commencer par le vélo, puis il se lie d’amitié avec un autre adolescent turbulent, un certain Helmut Marko. Un petit groupe de jeunes se forme et tente sa chance en course automobile. Rindt a vraiment du talent et grimpe les échelons jusqu’en Formule 1.
En 1969, il est victime d’un énorme accident lors du Grand Prix d’Espagne à Montjuïc quand le gigantesque aileron arrière de sa Lotus casse net. Par après, Rindt s’est inquiété de la solidité des voitures de Colin Chapman. Les Lotus sont rapides, certes, mais fragiles.
En 1970, Rindt pilote la nouvelle Lotus 72 et remporte quatre courses de suite à la mi-saison. Il mène le Championnat du monde avec 20 points d’avance quand lui et le Team Lotus se rendent disputer le Grand Prix d’Italie début septembre sur le circuit de Monza, le “temple de la vitesse” avec ses longues lignes droites.
Colin Chapman veut absolument que Rindt accroisse son avance au championnat des pilotes. Pour qu’il réussisse une bonne performance, il décide d’effectuer des essais en retirant les ailerons des Lotus 72 de Rindt et de John Miles, l’autre pilote de l’écurie Lotus.
Miles, ingénieur et bon pilote, est habité par un sérieux instinct de survie et s’inquiète lui aussi de la faiblesse mécanique des Lotus. Des frictions étaient déjà apparues entre Miles et Chapman à propos de la fragilité des voitures.
Vendredi après-midi, Rindt roule sans aileron tandis que Miles, qui n’a jamais roulé à Monza, roule avec un aileron très plat qui lui donne confiance. « Nous n’avions jamais testé la 72 sans ailerons » déclare-t-il dans le livre “Lotus 72, Formula One Icon”.
À un moment des essais, Rindt et sa Lotus 72 sans ailerons double avec une facilité déconcertante la 72 de Miles, dotée d’ailerons fins. « La tenue de route de la voiture [de Rindt] avait l'air épouvantable. Elle balisait toute la piste. Il s’est éloigné de moi sur la ligne droite, mais je l’ai beaucoup rattrapé lors du freinage”. Rindt gagnait, semble-t-il, entre 600 et 800 tours/minute sur les lignes droites.
Miles est rentré aux puits et Chapman a ordonné aux mécanos de retirer les ailerons de sa 72. Miles s’y est opposé, mais Chapman était le patron… Miles est retourné en piste et s’est fait surprendre par un énorme survirage alors qu’il roulait doucement pourtant. Il est revenu, et a dit à Chapman qu’il ne pouvait pas conduire une telle voiture, ajoutant qu’il était crucial d’effectuer des essais sérieux avant d’effectuer toute tentative raisonnable. Cette différence d’opinion a probablement été la goutte qui a fait déborder le vase et convaincu Chapman que Miles n’était pas fait pour la F1.
Plus rapide, mais moins stable
Samedi matin, Rindt prend la piste avec sa 72 dépourvue d’ailerons tandis que Miles attend que les mécanos terminent le préparer la sienne. Puis, un silence inquiétant envahi l’Autodromo. Denny Hulme, qui roulait derrière Rindt, s’arrête aux puits Lotus et annonce que l’Autrichien a été victime d’un grave accident à l’entrée de la Parabolica.
Hulme et les témoins de l’accident affirment que Rindt a commencé à freiner très fort juste après avoir passé le panneau de 200m avant la Parabolica. La Lotus 72 a tiré vers la droite, puis vers la gauche, puis encore vers la droite avant de pivoter violemment vers la gauche pour percuter les rails de sécurité. Normalement, le bolide aurait dû glisser le long du rail, perdant de la vitesse. Mais non. À cet endroit, les rails avaient été mal fixés et le nez en coin très bas de la 72 s’est encastré sous le rail. La force de l’impact a arraché toute la partie avant de la voiture : la roue avant droite et sa suspension, le pédalier et la colonne de direction.
À cause de sa peur maladive d’un incendie et voulant s’extraire le plus vite possible de sa voiture qui prendrait feu, Rindt refusait qu’on boucle la sangle d'entrejambe de son harnais. Sous la force du choc, le corps de Rindt a été tiré vers l’avant à travers la coque et la sangle ventrale lui a tranché le cou.
Le pauvre pilote a très probablement été tué sur le coup, mais pour éviter toute complication avec la justice italienne, il fut déclaré mort seulement après son arrivée à l’hôpital. Les mécanos de Rindt, Eddie Dennis et Herbie Blash (qui deviendra par après le directeur sportif de Brabham puis le bras droit de Bernie Ecclestone) sont allés récupérer l’épave de la Lotus 72 qui fut ensuite saisie par la justice italienne.
Le Grand Prix d’Italie fut disputé sans les deux autres pilotes du Team Lotus, Miles et Emerson Fittipaldi. Chapman et des membres du Team Lotus furent ensuite impliqués dans l’enquête du drame effectuée en Italie.
Cinquante ans après l’accident, on ne connaît pas avec certitude ce qui a été la cause. Certains affirment qu’un arbre qui reliait la roue au frein embarqué avait cassé net au freinage de la Parabolica. Tous les tests qui ont été effectués sur cette pièce n’ont pas confirmé cette théorie.
La cause la plus probable est sans doute celle de la grande instabilité aérodynamique de la voiture sans aileron, de la portance de son train arrière, de la répartition de freinage incorrecte et de l’installation de pneus Firestone tendres du côté droite de la voiture et de pneus durs à gauche. Ces pneus durs nécessitaient entre six et huit tours de piste pour atteindre leur température correcte de fonctionnement. Arrivant à très haute vitesse au virage Parabolica, Rindt a freiné fort et a très probablement déstabilisé sa monoplace qui s’est mise à valser. Chaussé de pneus de gommes différentes et arrivés à des températures différentes n’a fait qu’amplifier le louvoiement du bolide.
La véritable cause du décès de Rindt est la mauvaise fixation des glissières de sécurité à cet endroit. Des travaux d’excavation avaient été effectués auparavant, et les rails avaient dû être retirés. Lorsqu’ils ont été réinstallés, des boulons n’ont pas tous été remis en place, résultant en cette tragédie.
Jochen Rindt avait marqué assez de points au championnat pour être sacré Champion du monde en fin de saison. Il n’a jamais pu célébrer ce triomphe.