Longs cheveux blonds, peau bronzée, moustache tombante, chemise ouverte, pantalon moulant, Ray Ban sur le nez, cigarette aux doigts et un brin arrogant, Keke Rosberg possédait réellement le look des chevaliers de la Formule 1 des années glorieuses. En d’autres mots, tout le contraire des pilotes actuels…
Celui qui a souvent couru ici en Formule Atlantique et en Can-Am, possédait un courage à toute épreuve. Pied droit enfoncé sur l’accélérateur, il parvenait à maintenir le contrôle de sa monoplace à peu près toutes les situations, même les plus périlleuses.
Keke, le père de Nico, l’a clairement démontré lors des qualifications du Grand Prix de Grande-Bretagne de 1985 présenté sur l’ancien aérodrome militaire désaffecté de Silverstone. Totalement plat et parsemé de virages hyper rapides, Silverstone était un circuit qui réclamait un courage démesuré. Le tracé d’aujourd’hui a été modifié et des virages ont été resserrés afin de ralentir les bolides.
En 1985, Keke et son coéquipier, Nigel Mansell, couraient pour l’écurie de Frank Williams aux commandes de Williams FW10 à moteurs Honda RA163-E double turbo capables de produire plus de 1000 chevaux. Puissants, oui, mais d’une brutalité épouvantable. À chaque remise des gaz, les roues arrière pouvaient facilement patiner. Maintenir une telle bête folle sur la piste réclamait un talent extraordinaire ou une bonne dose d’inconscience.
Un moment historique
Une averse menace et les pilotes vont vite en piste pour y disputer la seconde séance de qualification. Les chronos baissent rapidement et on assiste à une lutte pour la pole position mettant aux prises Rosberg, Michele Alboreto sur Ferrari, Ayrton Senna et Elio de Angelis sur des Lotus-Renault et Alain Prost au volant d’une McLaren-TAG Porsche. Les temps rapides oscillent entre 1'06”1 et 1’06”4 pour une vitesse moyenne de 158/159 milles à l’heure, soit un peu plus de 254 km/h.
Une fine pluie se met finalement à tomber. Après une trentaine de minutes, elle cesse. La piste sèche, mais il reste de minces flaques d’eau dans les virages Becketts et Stowe. Les mécanos des écuries augmentent la pression des turbos au maximum et boulonnent un train de pneus ultra tendres aux voitures de Senna, Nelson Piquet, Mansell. Rosberg, qui est pourtant plus rapide que tout le monde d’une demie seconde, décide d’effectuer une autre tentative.
Le Finlandais effectue son tour de chauffe à bonne allure et accélère à fond juste avant la ligne de chronométrage. Le moteur Honda hurle, les deux turbos sifflent, la monoplace zigzague et projette d’impressionnantes gerbes d’étincelles.
À chaque changement de vitesses, la Williams laisse échapper un pet de fumée noire, résultat de la combustion du carburant spécial à haute teneur en toluène. Keke freine peu et enfonce l’accélérateur avec la même rage. Sa Williams n’est pas soudée par terre, elle valse et effectue des ruades imprévisibles. Mille chevaux brutaux pour une voiture super légère de seulement 545 kilos, ça déménage !
De plus, Keke ne se laisse pas impressionner par un pneu arrière qui souffre d’une cervaison lente. Il jette sa Williams dans les virages, contrôle habilement ses glissades et remet les gaz le plus tôt possible. « J’avais déjà le meilleur temps et j’aurais pu rester dans le garage. Mais je n’ai pas pu résister à l’appel de la piste, car je croyais bien que je pouvais rouler encore plus vite » raconta-t-il après son tour.
Les derniers virages approchent. Keke exige encore plus de sa monoplace. Les pneus résistent à la torture et le moteur crache avec violence toute sa puissance démesurée. La FW10 coupe la cellule de chronométrage et nul n’en croit ses yeux. Rosberg a fracassé la barre de 160 m/h de moyenne ! Il effectué un tour de la piste de 4,719 km en 1’05”591 à la vitesse moyenne stupéfiante de 160,924 m/h, soit 259,005 km/h.
Pour Keke, tout cela est tout à fait normal. Il revient à son garage, s’extirpe du cockpit de sa monoplace, retire son casque et s’allume une cigarette. Il a effectué son travail, c’est tout.
La course sera une tout autre histoire pour Rosberg. Ayant beaucoup de difficulté à lancer son moteur Honda au moment du feu vert, il voit Senna et sa Lotus noire le doubler avant d’arriver au premier virage. Keke roule prudemment, car la Williams peut facilement détruire ses pneus en seulement quelques tours. Doublé par Prost, il chute au troisième rang et voit son V6 Honda exploser au 22e passage…
Sacré phénomène ce Keke Rosberg que les amateurs québécois ont découvert lors de ses ahurissantes batailles le mettant aux prises à Gilles Villeneuve en Formule Atlantique au milieu des années 70.