C’est le déroulement peu orthodoxe du Grand Prix de France 1981 qui a donné l’idée à Gordon Murray de réintroduire les arrêts aux puits et les ravitaillements en essence en Formule 1.
En 1981, Gordon Murray était le directeur technique de l’écurie Brabham. Ingénieur ingénieux et astucieux, il était toujours à l’affut d’une nouveauté ou d’une façon inhabituelle de faire les choses. Lors du Grand Prix de France 1981, présenté le 5 juillet sur le tracé de Dijon-Prenois, Nelson Piquet, sur une Brabham BT49C-Ford, mène la course devant Alain Prost au volant d’une Renault RE30 turbo. Vers le 50ème tour, une pluie fine commence à tomber. Elle s’intensifie et au 59ème passage, la direction de course arrête l’épreuve, car il pleut trop fort et toutes les voitures sont chaussées de pneus lisses.
Une fois l’averse terminée, la course reprend et le classement final sera établi, comme c’était la règle à ce moment, par l’addition des temps des deux segments. Puisque Piquet possédait 6,7 secondes d’avance sur Prost au moment de l’arrêt, ce dernier doit terminer le second segment avec plus de 6,7" pour espérer gagner.
Puisque le réservoir de la Renault est vide aux deux tiers, les ingénieurs français recommandent de faire installer un train de pneus Michelin de qualification très tendres pour le second segment. Goodyear, qui ne dispose pas de pneus ultra tendres, ne peut répliquer et la Brabham de Piquet devra couvrir les 84 derniers kilomètres avec son train de pneus usés.
Prost s’échappe du peloton, domine le second segment de la course et son temps combiné lui permet de gagner son premier Grand Prix devant John Watson sur McLaren et Piquet, fort dégouté. Mais cette tactique de Renault interpelle Murray qui se met tout de suite au travail. Voiture légère, pneus tendres, pression de turbo élevée, toutes ces pensées jonglent dans son cerveau.
Murray veut créer une voiture légère et rapide
Durant l’été, Murray travaille sur la conception de la première Brabham à moteur turbo, la BT50. Le quatre cylindres en ligne BMW est puissant, mais gourmand en carburant... « J'ai commencé à me demander si l'on pouvait commencer la course avec la moitié du carburant. Avec un petit réservoir, je pourrais la faire ressembler davantage à une voiture à moteur Cosworth DFV - plus basse, plus élégante. Si on démarrait avec un demi-réservoir et s'arrêtait pour en remettre juste assez pour finir la course ? J'ai lu le règlement et rien n'interdisait de le faire. Puis, j'ai commencé à faire des calculs approximatifs et si l'arrêt aux puits ne durait pas plus de 26 secondes, nous gagnerions toutes les courses » raconte Murray dans son superbe ouvrage "One Formula".
Pour le ravitaillement en carburant, Murray a repéré un tonneau de bière en aluminium capable de supporter une pression de deux bars et des tuyaux de différents diamètres pour effectuer des tests. Un second tonneau, contenant uniquement de l'air comprimé, fut ajouté afin de donner une pression constante durant tout le remplissage. Avec cette pression, il était possible de faire entrer 30 gallons de carburant (136 litres) dans le réservoir en seulement trois secondes.
Pour le changement de pneus, l’équipe a conçu un pistolet à air comprimé muni d’un dispositif de retenue d’écrou afin que ce dernier reste coincé dans le pistolet. Restait toutefois la problématique des pneus, car effectuer un arrêt aux puits et faire repartir la voiture avec des pneus froids était contre-productif. Puisque les couvertures chauffantes n’existaient pas encore, l’équipe a fabriqué un four à pneus en contreplaqué muni d’un chauffage au gaz pouvant accueillir deux pneus arrière et deux pneus avant. Des trous étaient percés à l'opposé de chaque pneu pour permettre d'introduction d’une sonde afin de vérifier la température de la gomme.
Des essais réels sont effectués en secret sur le circuit de Donington. Tout fonctionne parfaitement. Les premiers ravitaillements de l’ère moderne tardent à venir, car le moteur BMW turbo est hyper fragile et casse habituellement avant l’arrêt.
C’est au Grand Prix d’Autriche que la grande première a lieu. Le meneur de la course, Riccardo Patrese, conduit une Brabham allégée. Il s’arrête aux puits au 24ème tour. Les mécanos, en combinaisons anti-feu, injectent une centaine de litres de carburant et montent un train de pneus neufs. Patrese ne reste immobilisé que 14 secondes et revient en piste toujours en tête. Quatre tours plus tard, le moteur BMW casse avec fracas. Même si Patrese n’a pas gagné, sa démonstration en piste fut fort éloquente.
Un an plus tard, presque toutes les écuries de F1, les plus importantes en tout cas, ont conçu des monoplaces à petits réservoirs et adopté la mode des ravitaillements en essence et en pneus.